Accord d’Arusha, ce qu’il aurait fallu savoir(Rubrique Acteurs témoins)
Après le référendum du 17 mai 2018, on ne parle plus de violation de l’Accord d’Arusha, mais plutôt d’un balayage pur et simple, au profit de la conservation de pouvoir par le CNDD-FDD. Un accord qui avait pourtant eu le mérite de mettre fin à une décennie de guerre civile et à la suite duquel le parti CNDD/FDD avait accédé au pouvoir. Mais sait-on véritablement ce que contenait cet accord tant déblatéré aujourd’hui par le pouvoir de Bujumbura? Il me paraît important de partager ici les conclusions que j’ai tirées de mon expérience d’homme politique, en tant qu’acteur et témoin privilégié des évènements qui ont jalonné l’histoire récente de notre pays. Aussi mon témoignage va-t-il tourné autour des points suivants : (i) L’existence et la pratique de l’idéologie d’exclusion et du génocide ; (ii) L’Accord d’Arusha pour la Paix et la Réconciliation au BURUNDI ; (iii) Les enjeux économiques.
- L’existence et la pratique de l’idéologie d’exclusion et du génocide
Nous, les signataires de l’Accord d’ARUSHA avons décrit la nature du conflit burundais en ces termes :
« En ce qui concerne la nature du conflit burundais, les Parties reconnaissent qu’il s’agit : (i) d’un conflit fondamentalement politique avec des dimensions ethniques extrêmement importantes, (ii) d’un conflit découlant d’une lutte de la classe politique pour accéder au pouvoir et/ou s’y maintenir »
C’est une description très vague, je le reconnais. Ce fut une des grandes erreurs contenues dans l’Accord d’Arusha, de ne pas avoir fait un bon diagnostic du véritable problème burundais qui, à mon humble avis, est l’existence et la pratique de l’idéologie de l’exclusion et du génocide depuis la colonisation jusqu’à ce jour, pour répondre négativement à la crise identitaire née de la déstructuration de la société traditionnelle burundaise par la colonisation: L’aliénation identitaire. Un mal dont nous n’avons pas pleinement conscience.
Pour bien comprendre ce diagnostic, permettez-moi de l’illustrer par deux expériences personnelles. En 1982, j’ai été séduit par les analyses marxistes de jeunes réfugiés burundais d’origine hutu vivant au RWANDA et en BELGIQUE qui, dans leur présentation, dans la revue ‘’Le flambeau’’, de la situation politique du BURUNDI, avaient essayé de dépasser les considérations dites « ethniques » pour définir le conflit burundais. J’ai alors adhéré à une cellule clandestine de recrutement et de formation du parti UBU (Umuhari w’Abakozi b’i Burundi). Mais au cours d’un de leur Congrès, deux questions furent posées aux Congressistes : « Faut-il la lutte armée ou la lutte politique ? Faut-il accepter les Tutsis dans cette lutte ? » Les Congressistes ne sont pas parvenus à s’entendre et l’UBU fut dissout. Mais trois grandes lignes de réponses se sont dégagées :
- Option de la lutte armée et refus catégorique des Barundi d’origine tutsi dans l’organisation. Cette ligne est à l’origine du PALIPEHUTU,
- Option de la lutte politique avec l’acceptation des Barundi d’origine tutsi sous conditions. Cette ligne est à l’origine de la naissance du FRODEBU,
- Option de la lutte politique avec l’acceptation des Barundi d’origine tutsi sans autres conditions que la citoyenneté et la pratique de la démocratie. Cette ligne n’a pas eu beaucoup d’adhérents.
La deuxième expérience se déroule au sein de l’Association Culturelle pour le Progrès au BURUNDI (ACPB) que nous (Des citoyens démocrates) avions fondé en 1990 pour la préparation du BURUNDI à la démocratie, un lieu de débats ouverts et qui nous manque aujourd’hui. Au cours d’un débat initié à la suite de l’attaque du PALIPEHUTU en 1991, nous avions posé cette question aux participants : « Faut-il parler, négocier avec le PALIPEHUTU ? » Les participants ne sont pas parvenus à s’entendre et l’ACPB a vécu ses derniers moments. Là aussi, trois clivages se sont manifestés :
- Option du refus catégorique de discussion avec le PALIPEHUTU. Cette ligne est à l’origine de la vision « DEUX PEUPLES, UNE NATION » qui s’est manifestée surtout après l’assassinat du Président M. NDADAYE et les massacres aux allures génocidaires de 1993.
- Option de l’acceptation de discussions avec seulement quelques membres du PALIPEHUTU sous conditions. Cette ligne est à l’origine du Congrès Elargi de l’UPRONA, avec le recrutement de certains membres du PALIPEHUTU et la politique de l’UNITE NATIONALE du Président P. BUYOYA.
- Option de l’acceptation de discussions avec le PALIPEHUTU sans conditions préalables. Cette ligne n’a pas eu beaucoup d’adhérents.
Depuis 1961, après l’assassinat du Prince Louis RWAGASORE, héros de l’indépendance et bâtisseur de l’unité nationale, les options d’exclusion totale ou partielle, sur base identitaire, se sont accentuées et transformées en idéologie d’exclusion et de génocide, maintenant qui plus est les citoyens burundais dans la politique de « DIVIDE ET IMPERA ». La jeunesse est la première à avoir payé le lourd tribut de cette idéologie divisionniste.
Il sied de signaler qu’au Burundi l’exclusion revêt deux caractères : provincial/clanique et national. Au niveau national, l’idéologie d’exclusion et du génocide a été traduite par « l’UBWOKO », terme qui signifie « ethnie », dans un pays « sans ethnies ». L’exclusion provinciale/clanique est illustrée par les deux exemples ci-dessous:
- En 1971, le Président M. MICOMBERO a eu cette phrase malencontreuse dans un discours à MURAMVYA, au centre du pays : « Si Muramvya devenait pays, Bururi deviendrait continent ! » A cette époque, c’était le paroxysme des rivalités à caractère provincial au sein de la classe politique. Ces rivalités existent encore.
- Aujourd’hui, au sein du premier cercle du pouvoir de CNDD-FDD, il serait très difficile de retrouver des personnes originaires de BURURI après l’éviction de L. NYANGOMA et J.B. NDAYIKENGURUKIYE et certains massacres au sein même du CNDD-FDD durant les années du maquis. Certains membres du CNDD-FDD, pour échapper à cette étiquette de BURURI, demanderont et obtiendront la création d’une nouvelle province, RUMONGE, coupant la province de BURURI en deux.
Cette idéologie, pur produit de l’aliénation identitaire, dans son caractère totalitaire, se manifeste aujourd’hui par l’exclusion, la discrimination, les massacres sélectifs. Je cite à titre d’exemples, l’exclusion et les massacres des partisans du FNL, du MSD, de l’UPD et d’autres partis considérés comme une menace pour le parti au pouvoir.
Ce système de pensée existe pourtant dans tous les groupes au sein de toute l’élite burundaise à des degrés divers. Nous l’avons vu à l’œuvre depuis l’accession de notre pays à l’indépendance à travers toutes nos identités, devenant de plus en plus meurtrières au fur et à mesure qu’elles se développaient, comme un virus dont on ne trouve pas le remède. Les dates des différents drames meurtriers que les uns et les autres mettent en avant montrent qu’aucun groupe ne peut prétendre avoir souffert seul ou d’avoir le monopole de la violence. 1965, 1972, 1993 à ce jour, nous partageons la même souffrance, mais nos haines et nos rancœurs nous la font présenter différemment. Lorsque la plupart des cadres du parti CNDD-FDD se plaignent à juste titre des massacres des leurs en 1972, ils omettent en même temps de reconnaître qu’ils ne sont pas les seuls à avoir connu ces pertes. Car les autres Hutus et les Tutsi sont eux aussi des orphelins de 1972. Doit-on être amnésique des massacres dont le mouvement CNDD-FDD était responsable durant ses années de lutte (Bugendana, Teza, Petit Séminaire de Buta,…) et de gouvernance du pays. Il en est de même de ceux qui parlent à juste titre des actes de génocide de 1993 et qui omettent de parler ou même qui justifient l’assassinat du Président Melchior NDADAYE. Même idéologie, mêmes attitudes, sans qu’ils s’en rendent compte.
Pourtant, les Chefs d’Etat qui se sont succédé depuis la signature de l’Accord d’Arusha avaient des instruments (Commission d’enquête internationale, Commission Vérité Réconciliation) dans l’Accord d’ARUSHA pour mettre en évidence la vérité sur ces dates, mais aucun n’a daigné les utiliser pour que le peuple Murundi se réconcilie avec son histoire douloureuse. La majorité des Barundi pleurent d’un seul œil tandis qu’une minorité revancharde, esclave de la logique de ressentiment, rumine et se délecte dans la vengeance. Seule la vérité les sauvera.
Le Commandant Martin NDAYAHOZE disait déjà en 1968: « En examinant de près le tribalisme, nous remarquerons qu’il est exploité par des politiciens sans envergure ni culture. Ainsi nous constaterons vite que le remède est une question de COURAGE, de JUSTICE, d’EDUCATION DE LA MASSE et de DEVELOPPEMENT ! » Cet appel est toujours d’actualité. Et c’est à la classe politique burundaise de changer de comportement et d’idéologie, car celle qu’elle pratique n’a aucune issue positive pour le Burundi. Elle est contraire à la démocratie, à l’Etat de droit !
- L’Accord d’Arusha pour la Paix et la Réconciliation au BURUNDI
Les hommes politiques ont raison d’évoquer le respect de l’Accord d’Arusha, suivi en cela par les dirigeants de l’EAC et de la Communauté Internationale. Mais l’on est en droit de se demander si tous prennent la pleine mesure de ce qu’il implique en réalité. Car l’Accord d’Arusha ne se limite pas à l’article 7 point 3 des mandats présidentiels ou aux quotas dits ethniques. L’Accord d’Arusha est beaucoup plus profond que cela même s’il a été appliqué de manière cavalière. De fait, une certaine élite croit en la réconciliation du peuple Murundi alors qu’une autre continue à le manipuler pour une visée exclusive de la prise et gestion du pouvoir. Quant à ceux qui veulent jeter à la poubelle l’Accord d’Arusha juste à cause des quotas dits ethniques, soit ils ne croient pas en une possible réconciliation du peuple Murundi, soit ils ne connaissent pas toute la portée de cet Accord.
Autant dire que l’Accord d’Arusha signé le 28 Août 2000 n’est pas l’Accord qui a été appliqué depuis la période de la Transition jusqu’à aujourd’hui. Non seulement il n’a pas été appliqué dans la majorité de ses protocoles, mais aucune évaluation indépendante et approfondie n’a jamais été faite, même pas par la C.S.A. (Commission de Suivi de l’Application de l’Accord d’Arusha) dont j’ai démissionné pour ses manquements en 2003.
L’Accord d’Arusha compte 5 protocoles et chaque protocole avait un rôle particulier :
- Le premier sur la Nature du conflit donne des directives sur un processus de réconciliation, la justice transitionnelle, la réhabilitation des esprits. Situation actuelle : Il n’y a pas de réconciliation, mais un retour aux confrontations ethnico-partisanes meurtrières dans un processus de vengeance et de tendance à une ethnisation outrancière de la société burundaise.
- Le second détermine les actions et mesures à mener pour raffermir la démocratie et les institutions légitimes. C’est de ce protocole que sortiront la Constitution et les différentes institutions. C’est le protocole du partage des postes de responsabilité et du pouvoir. Situation actuelle : Il n’y a plus de véritable démocratie ni de gouvernance consensuelle.
- Le troisième s’occupe des structures de défense et de sécurité pour la paix et la sécurité pour tous, ainsi que du cessez-le-feu. Il s’agit bel et bien du partage des questions militaires. Situation actuelle : Il n’y a pas de sécurité pour tous.
- Le quatrième protocole se penche sur les programmes sociaux et économiques, la réhabilitation des sinistrés dans toutes ses dimensions. Un protocole construit pour un programme de développement.Situation actuelle : il n’y a pas de processus de développement. Il y a plus de sinistrés que lors de la signature de l’Accord.
- Le cinquième protocole devait garantir l’application de l’Accord. Situation actuelle : Ni les Institutions burundaises, ni l’East African Community, ni l’Union Européenne, ni le Conseil de Sécurité n’ont pu garantir l’application de cet Accord historique. Chacun a sa propre responsabilité.
La bonne application de ces protocoles et de ses annexes était censée ramener la paix et la réconciliation au BURUNDI. En tout cas, personnellement, j’y croyais même si j’avais été réticent au départ des négociations. De tous ces protocoles, celui qui aurait dû préoccuper le plus les personnes en charge de l’application de l’Accord, les premiers responsables de la période de Transition, était le protocole I, celui de la nature du conflit et de la réconciliation.
De 2001 à 2003, au sein de la Commission de Suivi de l’Application de l’Accord (C.S.A.), nous avons tiré la sonnette d’alarme sans être entendu, pour une application rigoureuse de l’Accord d’Arusha, en particulier celui du Protocole I, celui de la réconciliation. Mais notre classe politique s’est plus préoccupée des protocoles II et III, ceux du partage du pouvoir politique et militaire, parce que chacun des protagonistes avait ses propres calculs pour s’accaparer du pouvoir total. La classe politique était plus préoccupée à se partager les postes ministériels et autres postes qu’à penser à réduire les tensions entre Barundi, panser les plaies causées par les différents massacres à caractère génocidaire, appliquer les mesures en faveur de la réconciliation contenues dans le Protocole I. Par conséquent, aucune démarche pour la réconciliation n’a été entreprise, paralysant tous les garde-fous contenus dans cet Accord, en particulier le recours à une Commission d’Enquête Internationale sur les crimes depuis 1962, une Commission Vérité et Réconciliation, l’adoption d’une Loi déterminant les postes politiques et techniques. Et tout le monde s’étonne que le Burundi se soit replongé dans la situation désastreuse. De mon humble avis, cela était prévisible. La crise actuelle est consécutive à la gouvernance calamiteuse depuis la Transition.
Les négociations pour un cessez-le-feu avec le CNDD-FDD et le partage du pouvoir avec le nouvel entrant aboutirent à l’Accord Global de Cessez-le-feu et surtout, dans un deuxième temps à l’Accord de Pretoria, qui a fini de détruire le peu de chances qui restaient de voir l’Accord d’Arusha réellement appliqué. Après la signature de l’Accord de Pretoria, j’ai tenté en vain de montrer les dangers de la non application de l’Accord d’Arusha et de l’application de ce nouvel accord, mais c’était peine perdue. Voici entre autres ce que j’écrivais au Président JACOB ZUMA, alors en charge des négociations : Aucun bilan sérieux et indépendant n’a jamais régulièrement été établi, à part les différents calendriers d’application de l’Accord fait par la CSA sans jamais être respectés ! Mais il est aisé de constater qu’aucune action du Protocole I, en faveur de la réconciliation n’a jamais été accomplie, de même, l’exercice des libertés politiques qui devrait préparer la démocratisation a été fortement limité…. il n’y a pas de paix pérenne sans réconciliation, il n’y a pas de réconciliation sans la vérité et la prise en compte des douleurs de chacun ! De même qu’il n’y a pas de démocratie sans libertés !C’était le 19 Juillet 2004.
Et dans une critique adressée aux partis politiques signataires de cet Accord de Pretoria qui se substituait à l’Accord d’Arusha, j’avertissais en ces termes : « Pour le fond : Le texte proposé par la Facilitation et les Key-players est en totale contradiction avec l’esprit et la lettre de l’Accord d’ARUSHA et ne saurait être un amendement à l’Accord d’ARUSHA. En particulier les articles 9, 10, 14, 18 et 19 qui accordent la mainmise du Parti vainqueur des prochaines élections (celles de 2005) sur toutes les institutions politiques et militaires. » Et plus loin : « …Ensuite vient ce deuxième accord de PRETORIA qui est un véritable chef d’œuvre d’hold-up politique, tellement subtil que même les signataires de ce document ne savent pas ce qu’ils offrent au prochain vainqueur des élections…. C’est en analysant le contenu de cet Accord qu’on se rend compte de l’immense supercherie et je ne suis pas sûr que tous ceux qui ont signé ce document aient compris l’enjeu réel lié à ce prétendu Accord (de Pretoria) sur le partage du pouvoir. Si ce document est appliqué tel quel, il n’y aura en fait aucun partage, aucune considération du programme de l’Accord d’ARUSHA pour la paix et la réconciliation au Burundi ! » C’était le 10 Août 2004.
Et si on y ajoute les résultats de l’Accord sur le cessez-le-feu qui ont permis au CNDD-FDD d’avoir 40% de militaires sur les 50% réservés aux Barundi d’origine hutu, on voit où cela nous a mené. Cette seule disposition a donné le pouvoir militaire au CNDD-FDD et anéanti, dès le départ, les principes d’une armée républicaine. Qui faut-il blâmer ? En tout cas pas le CNDD-FDD seul. Il n’a pris que ce qu’on lui a offert sur un plateau d’argent. On connaît la suite.
Mais comment des personnes conscientes de leur responsabilité de leaders pour les générations à venir ont pu accepter de signer un document qui modifiait l’Accord d’ARUSHA et la Constitution par le point 25 qui stipulait : « …les leaders et les représentants du Gouvernement de Transition du BURUNDI, le CNDD-FDD, le FRODEBU et l’UPRONA sont d’accord que les dispositions mentionnées ci-dessus devraient être incorporées à la Constitution du Burundi, adoptée par voie référendaire et d’autre législation y afférente » ? Il y a ici un problème d’ordre juridique et constitutionnel évident qu’une bonne évaluation de l’application de l’Accord d’Arusha pourrait lever, pour la paix au BURUNDI. Il faut ici préciser que cet Accord de Pretoria n’est pas l’Accord Global de Cessez-le-feu signé avant et inclus dans l’Accord d’Arusha.
La tâche d’un facilitateur quel qu’il soit, dès lors qu’il aura compris l’importance de l’Accord d’Arusha pour la légitimité des Institutions du Burundi, est simple : D’abord faire évaluer l’Accord d’Arusha pour la Paix et la Réconciliation au BURUNDI, puis l’appliquer tel que nous l’avons signé! Nul besoin de dialogue, de négociations ou je ne sais quoi encore pour perdre du temps et de l’argent pendant que les Barundi meurent ! Tout s’y trouve ! Aucune évaluation n’a été faite pour voir si cette étape cruciale pour la réconciliation des Burundais a été bien ou mal conduite, pour connaitre les importantes orientations ou décisions non appliquées et leurs effets sur la situation actuelle. Dans l’AA, il était même prévu une évaluation au bout de dix ans de l’application des quotas ethniques et des résultats sur la réconciliation nationale.
L’esprit de cet Accord a permis de renouer avec le processus de démocratisation interrompu prématurément par l’assassinat du Président Melchior NDADAYE et les massacres à caractère génocidaire, de développer une société civile responsable et une presse libre/indépendante, de dépasser les antagonismes d’origine « ethnique», de conscientiser progressivement la population sur ses droits. Ceci pourra barrer la route à l’idéologie divisionniste et ethniciste de CNDD-FDD. Les Barundi doivent comprendre que la solution à la crise burundaise n’est pas ethnique, comme le parti au pouvoir veut le faire voir. Tous les Barundi sont victimes de la situation précaire du pays. Nous constatons que les exactions touchent toutes les catégories de la population, que les réfugiés sont aussi de toutes les catégories contrairement aux années passées. L’espoir est toujours là pour reconstruire sur ces avancées interrompues par un gouvernement ensorcelé par le goût du pouvoir pour le pouvoir.
- Les enjeux économiques
Lorsqu’on compare l’unanimité, l’unicité dans les actions de l’Initiative Régionale sur le Burundi (à laquelle s’était jointe l’Afrique du Sud) et l’appui indéfectible dont ont bénéficié les Médiateurs Mwalimu Julius NYERERE et Nelson MANDELA durant toutes les négociations d’Arusha avec le constat amer que nous faisons de l’impasse dans laquelle se trouve la médiation actuelle, on est en droit de se poser des questions légitimes sur le processus actuel. Même la collaboration entre l’Initiative Régionale et la Communauté Internationale (Union Européenne, USA, AU…) était quasi parfaite. Aujourd’hui, chacun tire de son côté malgré des communiqués de façade et personne ne voit clair dans la poursuite de ce processus. Comme si chacun attendait que les solutions arrivent toutes seules en laissant pourrir la situation.
Ayant suivi de très près les différentes tractations des acteurs et facilitateurs après la signature de l’Accord d’Arusha, voici mon analyse de l’évolution des uns et des autres par rapport aux objectifs convenus de l’Accord d’Arusha et de leur détournement au profit d’intérêts matériels pour la gestion de la période post-Arusha (transition de 2003-2005 et post-transition 2005 à aujourd’hui).
Il est apparu au lendemain de la signature de l’Accord que la Communauté Européenne privilégiait une Transition gérée par le tandem FRODEBU-UPRONA à l’exclusion de tous les autres partis. Mais une autre donne va rapidement apparaître quand le Président Nelson MANDELA confie la question du Cessez-le-feu au Vice-Président de l’Afrique du Sud, Monsieur Jacob ZUMA. A partir de ce moment, le Gouvernement Sud-Africain va s’impliquer dans la crise burundaise avec des intérêts évidents. Après avoir, dans un premier temps, privilégié le FNL-PALIPEHUTU comme principal interlocuteur, le Gouvernement Sud-Africain se rabat sur le CNDD-FDD, non sans avoir divisé le FNL-PALIPEHUTU en trois branches rivales, celle d’Agathon RWASA refusant les négociations. La première fissure de l’Initiative Régionale va apparaître avec la question de la force de maintien de la paix. L’Afrique du Sud va la seule marraine du suivi de l’Accord d’Arusha au grand dam de la Tanzanie et l’Ouganda tous deux candidats. L’Afrique du Sud va alors tout faire pour favoriser le CNDD-FDD dans toutes les négociations à venir, le cessez-le-feu et surtout l’Accord de Pretoria sur le partage du pouvoir qui ouvrira la voie du pouvoir sans partage comme mentionné plus haut. Les autres pays de l’Initiative Régionale enverront leurs hommes d’affaires après la Transition et se contenteront de quelques domaines d’exploitation.
Aujourd’hui en Afrique en général et au Burundi particulier, il existe trois types de prédateurs :
- Les prédateurs nationaux qui pensent que l’Etat est une vache laitière qu’il faut traire au maximum, sans même la nourrir, une petite classe au pouvoir qui fera tout pour s’y maintenir
- Les rapaces intermédiaires, les chercheurs de commissions, qui n’ont pas de grands moyens mais qui vont tromper, corrompre, pour avoir les meilleurs marchés à revendre aux plus offrants et qui pousseront et appuieront les premiers pour se maintenir au pouvoir
- Les requins internationaux, souvent attachés aux Etats puissants qui n’aiment pas se mouiller ou corrompre ouvertement, qui profitent du travail préliminaire des rapaces intermédiaires pour continuer à asservir les Etats producteurs à travers des prédateurs nationaux si faciles à manipuler.
Ce trio de prédateurs est à l’œuvre depuis longtemps en Afrique et tient en otage la plupart des Gouvernements non sans conséquences désastreuses sur les populations. L’Afrique de l’Ouest a connu l’horreur avec les guerres de Sierra Leone, du Liberia et cela a semblé être une leçon pour la CEDEAO afin de prévenir ce genre de situation. Dans notre région, le paroxysme s’est remarqué lors de la guerre régionale de la RDC avec l’implication de la quasi-totalité des pays de la CIRGL. Au Burundi, certains des pays de l’Initiative Régionale, d’où proviennent la plupart de nos rapaces intermédiaires, ont transformé ce pays en’’ une fille de joie’’ dont leurs agents profitent allègrement, sans états d’âmes, pendant que les enfants burundais se meurent, cherchent asile dans ces pays (Le Burundi est la troisième source de réfugiés en Afrique actuellement) sans espoir pour retourner vers leur mère-patrie en toute sécurité. Pas de leçons apprises. C’est le grand échec de l’EAC que de voir encore des réfugiés provenant d’un de leurs Etats membres.
Comment expliquer que l’EAC n’est pas parvenue à aider le facilitateur à prendre des décisions salutaires ? Alors que le Traité de l’EAC, notamment en ses articles 146 et 147 sur les violations persistantes des principes de ce Traité et des décisions des membres qui affectent la Communauté, aurait dû aider à éviter l’escalade meurtrière au Burundi. Surtout qu’une délégation de l’EAC d’observateurs des élections avait conclu qu’elles n’étaient ni libres ni justes. Malgré la feuille de route et toute une série de réunions, nous en sommes toujours au point de départ. Les rapaces intermédiaires quant à eux espèrent que ce soit leur soutien qui gagne au détriment du peuple burundais. Où sont passées les valeurs d’UBUNTU si chères à notre culture bantu ? La principale explication de cette perte des valeurs est essentiellement économique.
Pour bien comprendre la situation, je vais juste parler de quelques domaines qui échappent au Burundi, pour une gestion économique normale et contrôlée d’un Etat :
- Les mines : Même si l’ONG OLUCOME a suffisamment parlé de ce domaine opaque, il faut savoir que cette opacité provient en premier lieu du refus du Gouvernement de promulguer une Loi sur le Règlement minier proposée par la Banque Mondiale pour plus de transparence et une redistribution équitable dans ce domaine. Tant que cette Loi ne sera pas effective, les prédateurs nationaux et les rapaces intermédiaires auront encore de beaux jours au Burundi. Mais la responsabilité de cette situation est partagée. En effet, si la Banque de la République du Burundi manque cruellement de devises c’est qu’une partie importante de l’or produit au Burundi se trouve dans les comptes de certains pays de l’Initiative Régionale. C’est véritablement honteux d’affamer la plus pauvre économie de l’EAC. Les Chefs d’Etat de l’EAC se trouvent ici interpellés.
- Les Télécommunications : L’implication des rapaces intermédiaires de certains pays de l’EAC dans l’octroi des licences d’exploitations dans ce domaine n’est pas beaucoup connue du public. Ils constituent les lobbys les plus importants qui soutiennent le maintien du statu quo pour garder leurs intérêts.
- Le marché du pétrole : Toutes les sociétés qui s’occupent de la distribution du pétrole au Burundi sont essentiellement Est-africaines (Kenya, Ouganda, Tanzanie) et Sud-Africaines, en partenariat ou pas avec de hautes personnalités burundaises et ce depuis la signature de l’Accord d’Arusha. Une situation de quasi-monopole est en train de se créer dans ce domaine qui a vu beaucoup de Burundais déserter ce terrain de gré ou de force.
Ceci est un bref aperçu de ce qui se passe dans le domaine économique et qui a eu des implications visibles et malheureusement néfastes sur le travail de la facilitation et le retour de la paix au Burundi. Si tant est que cela soit encore d’actualité, la médiation est-africaine doit absolument en tenir compte et prendre ses distances par rapport à ces personnes influentes. Ce qui est paradoxal, c’est que ces intérêts particuliers semblent primer sur l’intérêt de l’EAC dans son ensemble qui perd annuellement des centaines de millions de dollars US à cause du conflit au Burundi, alors que des particuliers, certes proches des pouvoirs décideurs de l’EAC, s’enrichissent sur le dos du peuple Burundais.
Ceci dit, loin de moi l’idée de reprocher à qui que ce soit de faire du business au Burundi. Mais lorsque ce business est fait dans un environnement de contestation, criminel, meurtrier et en dehors de tout respect de la loi, ces businessmen devraient questionner la moralité des gens à qui ils ont à faire et penser aux conséquences sur nos populations, s’ils se veulent honnêtes. D’un autre côté, l’assainissement du milieu des affaires est un devoir majeur pour tout Gouvernement responsable. Mais encore faut-il qu’il le soit. Là est tout le problème.
Conclusion
La première étape de traitement que je conseillerai et sur laquelle j’insiste, c’est une évaluation de l’application de l’Accord d’Arusha avec la participation de tous les protagonistes et la Fondation NYERERE qui nous a accompagnés du début à la fin. Ce travail permettra d’affiner le diagnostic et de mener à de vraies solutions pour la réconciliation et la paix au Burundi.
Je n’ai pas parlé de 3ème mandat, de cette volonté d’accaparer le pouvoir total. C’est du déjà vu, peut-être en plus meurtrier, des conséquences de la maladie profonde décrite dans ces lignes. Comme des poussées de fièvre tout simplement. Qui, au pouvoir au Burundi depuis l’indépendance, n’a pas voulu conserver le pouvoir à tout prix ? Même durant la Transition des velléités de prolonger celle-ci ont été tentées.Mais tôt ou tard le peuple Murundi s’en sortira, par la démocratie et la réconciliation.
J’en suis convaincu. Les chances sont encore là.Je ne saurais terminer sans évoquer deux évènements de grande importance pour le Burundi qui ont eu lieu ce mois de Mai et sont passés presqu’inaperçus dans l’opinion : Le rapport de l’Envoyé Spécial des Nations-Unies et la reprise du dossier du 3ème mandat par les juridictions de l’East African Community juste après un referendum de tous les dangers. Si Michel KAFANDO ose dire que le pays est désormais serein pour continuer le processus de dialogue (cautionnant ainsi les résultats du référendum), les conclusions des juridictions de l’EAC quant à elles remettent en cause la légitimité du pouvoir actuel.
Le rapport en soi n’a rien apporté de nouveau, des vœux pieux sans aucune action crédible ou valable pour arrêter la montée de la dictature au Burundi. C’est plutôt certains commentaires qui ont attiré mon attention, notamment l’intervention d’un pays membre permanent du Conseil de Sécurité qui a jugé que le dossier du Burundi ne devrait plus revenir devant ce Conseil parce que la situation ne gênerait pas la sécurité internationale. Comme pour dire ‘’ les Burundais peuvent mourir, être exilés, privés de droits élémentaires par un pouvoir dictatorial, tant que notre sécurité à nous les puissances du monde n’est pas perturbé, il n’y a aucun problème.’’ Mesdames, Messieurs hommes et femmes politiques du Burundi, concluez vous-mêmes.
Quant à la décision des juridictions de l’EAC sur l’arrêt de la Cour Constitutionnelle burundaise, permettra-t-elle de relancer la médiation est-africaine aujourd’hui au point mort ? En tous les cas, que ce soit pour l’opposition, la médiation ou l’Initiative Régionale, ce serait une occasion de ne pas perdre complétement la face après le forcing du pouvoir du CNDD-FDD. Espérons-le pour arrêter les tourments du peuple Burundais.
Si les leaders politiques ne sont pas sensibles à ce côté humanitaire de notre crise, il n’y aura pas de solutions pérennes. Tant que nos morts (passés et présents) ne seront pas honorés comme nous l’avions prévu dans l’Accord d’ARUSHA, il n’y aura jamais de paix ni de réconciliation au BURUNDI. Nous retournerons toujours à la case de départ. Aujourd’hui, on compte près d’un demi-million de réfugiés répartis dans la région, plus de cinq mille prisonniers politiques et plus de deux mille assassinés et disparus après avoir signé un certain Accord pour la paix et la réconciliation. Ce drame n’a que trop duré !