dim 22/05/2022 - 11:30

La constitution du 7 juin 2018 : pour davantage d’Arusha ou pour plus jamais Arusha? Un essai de clarification.

A travers cet article, l’auteur montre de bout en bout qu’en dépit du discours officiel qui accrédite l’idée d’une révision constitutionnelle, c’est bien d’un changement de l’ordre constitutionnel qu’il s’agit, consacrant le passage d’une démocratie consociative négociée à une démocratie majoritaire. En conséquence, loin de constituer le meilleur moyen de renforcer l’accord d’Arusha, ce changement de constitution constitue une marche-arrière par rapport au contenu et aux principaux acquis de cet Accord, et partant une menace pour la survie du système démocratique que ce dernier avait bâti, basé sur une démocratie consociative.  Aussi, après avoir passé en revue les prétextes et motifs réels ayant conduit à la « révision » de la Constitution du 18 mars 2005 qui était la matérialisation juridique de l’Accord d’Arusha ; l’article examine systématiquement les changements majeurs introduits par la modification de cette constitution, ainsi que les logiques qui les sous-tendent. L’article en dégage principalement trois, à savoir : i) le rejet du principe de partage de pouvoirs et la remise en cause de la démocratie de consensus ; ii) le rejet su principe de séparation des pouvoirs et la consécration d’un pourvoir absolu du Président de la République, ainsi que ; iii) la remise en cause des équilibres constitutionnels et l’institutionnalisation de l’exclusion politico-ethnique, principalement au sein des corps de défense et de sécurité. En fin de compte, l’article aboutit à la conclusion qu’à travers cette « révision », on s’éloigne définitivement de l’esprit de cet accord. 

Mots-clés : Accord d’Arusha ; Communauté Internationale ; Corps de défense et de sécurité ; Révision/changement constitutionnel ; Démocratie consociative ; Equilibres politico-ethniques ; Exclusion ; Partage de pouvoir ; Subsidiarité.  

Abstract

Throughout this article, the author shows that despite the official speech accrediting the idea of a constitutional amendment, it is rather a change in the constitutional order, consecrating the moving from a negotiated consociational democracy to a majority democracy. Consequently, far from being the best means of reinforcing the Arusha Agreement, this constitutional change constitutes a step backwards in relation to the content and main achievements of that Agreement, and thus a threat to the survival of the democratic system, based on a consociational democracy that the Agreement had built. After reviewing the real pretexts and motives that led to the "amendment" of the March 18th, 2005’s Constitution, which was the legal embodiment of the Arusha Agreement, the article systematically examines the main changes introduced by the Constitutional amendment and the rationale behind them.  The article highlights three main changes, namely: (i) rejection of the power-sharing principle and the challenge to consensus democracy; (ii) rejection of the principle of powers separation and the consecration of the absolute power of the President of the Republic, as well as; iii) the questioning of constitutional balances and the institutionalisation of politico-ethnic exclusion, mainly within the defence and security bodies.  In the end, the article concludes that through this «amendment ", the spirit of this Agreement is definitively departed from. 

Key words: Arusha Agreement; International Community, Defence and Security Bodies; Constitutional Amendment /change; Consociational Democracy; Politico- Ethnic Balances; Exclusion; Power Sharing; Subsidiarity.

Introduction

Un cahier consacré à l’Accord d’Arusha pour la Paix et la Réconciliation au Burundi (AAPRB) au moment où ce dernier traverse ses moments les plus dialectiques, ne pourrait se faire l’économie de revenir sur le changement de la Constitution  intervenu en juin 2018. Même si le discours officiel parle de révision, le nombre de dispositions retouchées, autant que la profondeur et la portée des modifications apportées, et sur des questions assez fondamentales en rapport avec cet Accord,  autorisent à notre sens d’en parler en termes de changement que de révision.

Le processus autant que son résultat final qu’est la Constitution du 7 Juin 2018, entretiennent la polémique entre d’une part, le parti CNDD-FDD (Conseil National pour la Défense de la Démocratie-Forces de Défense de la Démocratie)- au pouvoir au Burundi depuis 2005 et ses alliés-, et de l’autre, les principales forces de l’opposition telles qu’elles se sont identifiées à la cinquième session de Dialogue inter-burundais organisée en octobre 2018 à Ngurdoto (Arusha). Alors que le CNDD-FDD continue à voir dans la nouvelle constitution  un meilleur moyen de renforcer l’Accord d’Arusha, l’opposition dans sa diversité y voit un « enterrement » de cet Accord, certains de ses membres allant jusqu’ à y voir une menace pour la survie des minorités politiques et ethniques et donc la perte de tout espoir de retour au système de démocratie consociative qu’avait bâti cet Accord (Vandeginste 2008). 

Cet article a pour ambition d’aider à y voir clair. Ainsi, après avoir rappelé le cheminement  qui a conduit à l’accouchement de cet Accord,  mais également l’essentiel de ce qui le compose, nous analysons les prétextes et motifs réels ayant conduit à la révision de la Constitution du 18 mars 2005 qui était la matérialisation juridique de cet Accord.  Dans une troisième partie, l’article passe au peigne-fin les changements majeurs introduits par la modification de cette constitution, en essayant d’y lire les ressorts qui les commandent. L’objectif ultime de cet exercice, est de répondre à la question de savoir si, à travers ce changement de constitution, on se rapproche davantage de l’esprit qui avait guidé les négociations d’Arusha, ou si au contraire on s’en éloigne et pour quelles fins.

  1. Rappel du cheminement et des fondamentaux de l'AAPRB 

I.1.Le cheminement

Les négociations de l'Accord d'Arusha ont  formellement duré un peu plus de deux ans (1998-2000). Dans les faits cependant, elles auront duré un peu plus de six ans , en ce sens que les pourparlers entre d'une part,  le Front pour la Démocratie au Burundi (FRODEBU)  parti majoritairement hutu, vainqueur des élections pluralistes qui avaient porté le Président Mechior Ndadaye au pouvoir en juillet 1993 , et de l'autre, l'Union pour le Progrès National (UPRONA), parti considéré comme porteur des intérêts de la minorité tutsi, avaient débuté au Burundi (Kigobe et Kajaga) depuis le début de l'année 1994. Au départ, ces pourparlers faisaient rencontrer une coalition militaro-civile accusée de coup d'Etat à la fois sanglant et rampant, et de l'autre, une majorité ethno-politique accusée de génocide

Ce pourparlers avaient au départ, l'objectif de rétablir un minimum d'ordre constitutionnel, pour rendre le pays gouvernable. Le deuxième objectif visait l'arrêt des massacres des populations civiles, les unes par les miliciens hutu affiliés au Frodebu , les autres par l'armée à prédominance tutsi. En effet, en dépit du monopole de la violence étatique que détenait la minorité tutsi, le massacre de cette dernière sur au moins les 2/3 du territoire burundais, joint à l'incapacité des forces de l'ordre à ramener la paix, avaient convaincu les protagonistes que contrairement aux précédentes crises qui avaient toujours été réprimées dans le sang, celle de 1993 devait se résoudre par la négociation

Dans un deuxième temps, l'embrasement du pays, avec la création d'une milice armée par le Frodebu , joint à la pression diplomatique et à un embargo économique imposé par la sous-région et l'ensemble de la communauté internationale qui avait pris fait et cause pour la majorité ethno-politique, ont forcé la main au régime de Bujumbura. Les pourparlers, qui s'étaient poursuivis à Moshi, Mwanza, Rome et ailleurs, ont finalement évolué en négociations formelles qui ont abouti à l'Accord d'Arusha pour la Paix et la Réconciliation au Burundi (AAPRB), signé le 20 août 2000.

I.2.Les fondamentaux de l'AAPRB

L'Accord d'Arusha pour la paix et la Réconciliation au Burundi (AAPRB) a été signé par les représentants du peuple et de l'exécutif burundais, mais également  par dix-sept  partis politiques , aussitôt rejoints par les deux principaux mouvements rebelles qui n'avaient pas formellement pris part aux éngociations, à savoir le CNDD-FDD et le Palipahutu-FNL, respectivement en 2003 et en 2008. L'Accord a été signé en présence des anciens chefs d'Etat du Burundi, des représentants de la société civile, des organisations féminines , religieuses et des jeunes du Burundi. Cet Accord a reçu une caution sous-régionale, continentale et internationale, en ce sens qu'il a également été signé par sept chefs d'Etat africains intervenant à des titres divers, le Président en exercice de l'OUA et son secrétaire général,  le Président des Etats- Unis d'Amérique, de l'Union Européenne, les Secrétaires généraux des Nations Unies et de l'Organisation Internationale de la Francophonie, ainsi que des représentants d'autres organisations. Les membres de cet éminent aréopage politique se sont  tous « solennellement déclarés liés par les dispositions de cet Accord» auquel ils ont par ailleurs reconnu une « force obligatoire » (Accord d’Arusha 2000:3). 

La signature de cet Accord avait été précédée par celle de la Déclaration du  21 juin 1998, signée entre toutes les parties en conflit  sous la médiation du Président Julius Nyerere  qui agissaient au « nom  des Etats de la sous-région des Grands Lacs et de la Communauté Internationale pour aider le peuple burundais à retrouver la paix et la stabilité». Outre le gouvernement du Burundi, l'Accord était en outre garanti par les Nations Unies et l'OUA, aujourd'hui l'Union Africaine, qui restent par ailleurs dépositaires de deux originaux du texte de cet Accord. Enfin, l'article 2 de son préambule fait également des gouvernements des Etats voisins du Burundi et des organisations internationales qui l'ont signé, les garants de cet Accord.

Dans son contenu, l'Accord consacre un véritable reformatage du paysage politique et institutionnel burundais, inspiré d'un double souci : d'une part le besoin de prévenir les risques de génocide et de l'autre, celui d'éviter des coups d'Etats. Cette double préoccupation avait trouvé une réponse, d'une part dans une architecture institutionnelle basée sur le principe d'une démocratie consociative , et de l'autre, l'aménagement d'un système de défense et de sécurité (armée, police et service du renseignement) conçu de telle manière qu'aucun groupe ethnique n'ait plus le monopole de la violence étatique sur l'autre. 

La démocratie de consensus était matérialisée par trois mécanismes, à savoir : i) le partage politico-ethnique du pouvoir , avec des institutions et structures représentatives (gouvernement, corps législatifs, magistrature, conseils communaux, etc.) concues de telle manière qu'aucun groupe ethnique ne soit represénté à plus de 60%; ii) la participation aux institutions des partis politiques minoritaires (2% des suffrages pour entrer à l'Assemblée Nationale, 5% pour entrer au Gouvernement); ainsi que iii) des quorums de délibération parlementaire tempérant la dictature de la majorité. 

S'agissant des corps de Défénse et de sécurité (CDS), l'armée avait été conçue de telle manière que les postes de commandement soient  ethniquement partagés à égalité, l’Etat-Major intégré et le corps des officiers devant  en outre compter 60% d’officiers provenant de l’armée gouvernementale à forte dominante tutsi et de  40% d’officiers provenant du CNDD-FDD, à forte dominante hutu. Des proportions légèrement différentes étaient  retenues à la police et au Service National de Renseignement (SNR), leurs états-majors respectifs devant compter 65% d’éléments en provenance du Gouvernement de Transition et 35% du CNDD-FDD. Le mérite de ces deux instruments était d'une part d'ouvrir ces corps à la majorité ethnique qui en était restée presqu'exclue depuis 1969,  et davantage au lendemain de la crise de 1972-73, et de l'autre, d'y assurer une représentation  suffisante à la minorité ethnique telle qu'elle n'aurait plus à redouter les pogroms qu'elle avait subis à plusieurs reprises.

Ces deux grands mécanismes,  institutionnel et sécuritaire,  avaient permis un retour progressif à la paix, à la stabilité et surtout à la sécurisation mutuelle. Bien plus, le Sénat avait entre autres reçu la mission  de s'assurer qu'aucune région ou aucun groupe ne soit politiquement exclu. De façon spécifique, il devait veiller justement à l'application des dispositions constitutionnelles relatives aux équilibres ethniques et de genre,  spécialement au sein des institutions et des Corps de Défense et de Sécurité (CDS).

A lui seul, ce petit développement montre que cet Accord valait autant par son contenu que par la démarche  politique qui l'a engendré. La question à laquelle cet article tente de répondre est celle de savoir si , à travers la constitution du 7 juin 2018,le CNDD-FDD cherche à mieux affiner les mécanismes de mise en oeuvre de cet Accord comme il veut le faire admettre ou si, à l'inverse, il s'inscrit dans une logique de négation progressive. Dans cette dernière hypothèse, il y aurait à craindre une instauration progressive d'un ordre démocratique majoritaire, sachant que de par l'histoire du Burundi, un tel ordre véhicule des souvenirs cauchemardesques , du moins pour la minorité ethnique tutsi. 

  1. Motifs, prétextes et démarche de la «révision » constitutionnelle

II.1. Motifs et prétextes

L'intention de modifier la Consitution de 2005 inspirée de l'AAPRB par le CNDD-FDD remonte à sa prise de pouvoir. Il faut d'abord rappeler  que le CNDD-FDD n'était ni négociateur ni signataire de l'AAPRB. Il ne l'a signé que parce que c'était la voie obligée pour être éligible à la gouvernance du pays et à la compétition politique ; surtout qu'avec le PALIPEHUTU-FNL (Parti pour la Libération du Peuple Hutu- Forces Nationales de Libération), ils venaient de perdre tout espoir d'une victoire militaire à la suite de la défaite lors de l'offensive coalisée qu'ils avaient lancée en août 2003 sur la capitale. 

Cela étant, c'est à partir du début du deuxième mandat commencé en 2010 que les signes du rejet de cet Accord se multiplient: en  2011, un document marqué du sceau de confidentialité émanant d'une Amicale pour la promotion du Sport AMIPROS- NONOKA, composée des hauts cadres de ce parti et des officiers des corps de défense et de sécurité issus des FDD, identifiait précisément l'AAPRB comme le principal obstacle à la réalisation  de son projet politique initial (Opposition intérieure 2018). Le document relevait comme éléments de faiblesse du régime, les aspects qui constituent l'âme même de  l'Accord d'Arusha, notamment le fait d'avoir un gouvernement d'union, l'existence des quotas ethniques dans la composition des corps de défense et de sécurité (Nonoka Production 2011), etc. Cet Accord aurait été de prime abord perçu comme un handicap à la mise en oeuvre du projet politique du CNDD-FDD, soucieux de bâtir un ordre constitutionnel en porte-à-faux avec l'Accord d'Arusha, car fondé sur une démocratie majoritaire comme on le lit dans l'exposé des motifsde la nouvelle Constitution.

A partir de 2012, des indiscrétions filtrées commencent à faire écho des intentions réelles de ce parti de procéder à la révision de la Constitution du 18 mars 2005. C'est en février 2012 qu'en interne,  le projet de révision de cette Constitution aurait été évoqué pour la première fois, à l’occasion d’une réunion des représentants du parti à différents niveaux que le Président Nkurunziza tenait à Ngozi où, selon son ancien porte-parole, il aurait déclaré ceci: « Je ne vais pas violer la constitution comme Abdoulaye Wade du Sénégal, mais si vous les membres du parti vous le voulez, je me ferai réélire en 2015 ».

Les deux arguments les plus mis en avant reposaient sur  son obsolescence et le souci de s'harmoniser avec les autres Etats de la Communauté de l'Afrique de l'Est , notamment au niveau des exercices budgétaires et des sessions parlementaires. A l'issue de deux ateliers organisés respectivement à Bujumbura et à Kayanza en mars et mai 2013,  le consensus semblait acquis au sein de l'ensemble de la classe politique  sur les dispositions à revoir, certaines d'entre elles portant d'ailleurs sur le code électoral. Mais quelle ne fut la surprise de l'opposition lorsqu'elle constata que le projet unilatéralement lui soumis par le CNDD-FDD, introduisait 69 nouveaux articles, en même temps qu'il en élaguait  une vingtaine d'autres de la constitution de 2005(UPRONA 2013)! De forcing en forcing, le projet fut finalement soumis à un large débat regroupant toutes les institutions, les forces politiques, sociales et morales, sous les auspices de l'Assemblée Nationale, avant que la mouture ne soit soumise au vote de cette dernière en mars 2014. Et s'il ne reçut pas le quorum requis , ce fut de justesse!

Jusque-là, le CNDD-FDD mettait en avant  le souci d’harmoniser  la Constitution du Burundi avec les principes  démocratiques universels. Pour lui, ces principes se ramenaient notamment  à la séparation des pouvoirs,  au respect des libertés et des droits de l’homme, à la prise en compte des réalités burundaises, à la nécessité de sauvegarde de la paix et de la cohésion sociale. Nous verrons cependant que la nouvelle Constitution ignore tous ces principes, le concept de principes démocratiques universels ne se réduisant en fin de compte qu’à un rejet pur et simple du principe de  démocratie de consensus, qui était  la pierre angulaire de l’Accord d’Arusha.

Déjà en mai 2013, un jeune transfuge du FNL, admis au CNDD-FDD depuis deux ans,  Fidèle Nsabumukiza, avait fini par annoncer sur les ondes de la RPA (Radio Publique Africaine), dans le cadre de l'émission populaire uterera iki (littérallement« quelle est ta contribution?»), que la milice imbonerakure s'apprêtait à faire la révolution contre cet Accord et ses signataires, et cela avant les élections qui étaient prévues pour 2015. Les signataires de cet Accord étaient présentés comme étant«la source de tous les maux que le Burundi connaît actuellement». Légitimant son intention, Nsabumukiza alla jusqu' à affirmer qu' « en politique on ne tue pas, on élimine les obstacles» (Iwacu 2013). La sortie fut tellement gênante pour le pouvoir CNDD-FDD que le porte-parole et le Président de ce parti durent se désolidariser publiquement de ces propos. Mais, on comprend bien que la déclaration n'était qu'une simple répétition d'une leçon apprise. Face à cette dérive, le comportement du pouvoir sera on ne peut plus complaisant: la mise en détention pour quelques mois, juste le temps que l'opinion oublie.

II.2.De la démarche 

En tant que produit d'un contrat social de cohabitation interethnique et de partage de pouvoir, la Constitution du 18 mars 2005 avait prévu des mécanismes assez contraignants de sa révision. Ces mécanismes étaient contenus dans son titre XIV qui comportait quatre articles (art. 297 à 300). Les articles 297 et 298 étaient relatifs aux modalités pouvant être  empruntées pour sa révision. L'article 297 statuait  sur les institutions légalement autorisées à en prendre l'initiative; il disposait que celle-ci appartenait « concurremment au Président de la République après consultation du Gouvernement, à l’Assemblée Nationale ou au Sénat statuant respectivement à la majorité absolue des membres qui les composent ». Alternativement, l'article 298  donnait droit au Président de la République de soumettre au référendum un projet d'amendement de la constitution. Dans un cas comme dans l'autre cependant,  le projet de loi ou la proposition d'amendement devait, pour être promulgué,  être adopté à la majorité des quatre cinquièmes des membres de l'Assemblée nationale et des deux tiers des membres du Sénat (art.299). Indépendamment de la voie empruntée, le parlement restait donc incontournable pour l'aboutissement du processus.

Qu'en a-t-il été? En vertu de son article 297dont nous venons de rappeler le contenu, la Constitution du 18 mars 2005 ne pouvait être révisée à l'initiative d'un seul bloc politique, encore moins d'un seul parti politique, fût-il au pouvoir. Or, dans le cas d'espèce, l'initiative n'est partie, ni de l'Assemblée Nationale, ni du Sénat. Théoriquement elle a été prise par le Gouvernement. Or,  jusqu' à la première séance de discussion du projet de cette Constitution en Conseil des Ministres, ni le premier Vice-Président de la République, qui théoriquement a la responsabilité constitutionnelle de la coordination du secteur politique, ni les ministres issus de l'opposition, n'en savaient encore rien.Tant et si bien que même après cette première séance, le projet a été retiré aux membres du Gouvernement, y compris à ce Ier Vice-Président qui, à défaut d'avoir été associé à l'initiative, était constitutionnellement sensé en faire au moins le suivi. 

La deuxième particularité est qu'aussi bien en 2013 qu'en 2015, la démarche  attend toujours les moments de crise pour prendre de court l'opposition. En 2013, la tenative eut lieu à un moment où l'Uprona qui, à l'époque, était le principal et unique partenaire gouvernemental du CNDD-FDD , venait de retirer sa confiance à celui qui le représentait au plus haut niveau de l'Exécutif, en l'occurence, le Ier Vice-Président Thérence Sinunguruza. Or, comme à l'époque du retrait du Dr. Martin Nduwimana, six ans plus tôt, la sortie de charge des Iers Vices-Présidents prêtant plus allégeance au CNDD-FDD qu' à leur propre parti,  s'est toujours accompagnée de troubles internes à l'Uprona, liés au fait que c'est le CNDD-FDD qui tire les ficelles. La révision fut donc amorcée à la grande surprise des membres de l'Uprona siégeant au gouvernement, qui n'avaient jamais eu à connaître au préalable le document de travail. 

En réalité, le changement de cette Constitution s'inspire des recommandations de la Commission Nationale de Dialogue Inter-burundais (CNDI). Créée au lendemain du processus électoral controversé en septembre 2015, cette commission était elle-même le produit d'un processus unilatéral. En effet, créée dans un contexte de monopole institutionnel avec une Assemblée Nationale , un Sénat et un gouvernement quasiment expurgés de la représentation politique  tutsi désormais réduite à quelques figurants ou tout venant politique à la solde ou membre du CNDD-FDD.

L'unique résultat visible du semblant de dialogue organisé par cette commission, reste justement la demande de révision de cette constitution, parce que portée par des éléments commis pour répéter un texte qu'on leur avait dicté à l'avance et dont la plupart n'en comprenaient même pas la portée. Un analyste avisé note que l'identité  des opinions et des demandes exprimées dans le cadre de ces débats, parfois sur des questions très hautement juridiques comme le statut constitutionnel de l'AAPRB, laisse penser que les interventions relevaient plus d'une orchestration gouvernementale, qu'elles ne reflétaient  les préoccupations profondes de la population. En résumé, poursuit-il, « ce qui était présenté comme un dialogue participatif pour discuter publiquement une large gamme de questions , devint graduellement - et devint largement perçu-, comme un processus graduellement opaque qui se focalisa principalement sur le besoin de révision de la cosntitution» (Vandeginste 2017). Il est sysmptomatique que le rapoport de cette commission fut pendant plus de six mois placé sous le boisseau, alors qu'il était censé être le résultat d'un débat public conduit en toute transparence. Etant le résultat d'une violation de l'Accord d'Arusha, tant dans le processus de sa mise en place que dans sa composition, la CNDI restait donc mal indiquée pour inspirer une quelconque révision d'une constitution qui était le produit de cet Accord et qui avait par ailleurs prévu les mécanismes de sa révision.

La campagne d'explication du projet de cette Constitution ne sera elle-même  portée que par les seuls membres du CNDD-FDD. Il ne pouvait en être autrement lorsque l'on sait  que même le projet de texte a été tenu secret. De ce fait, on peut déjà affirmer que le projet de changement de la Constitution n'est qu'une initiative du seul CNDD-FDD.

Le contexte politique lui-même ne permettait pas une telle démarche: le seul fait que plus de 400 000 Burundais et une bonne partie des leaders  politiques , tant du CNDD-FDD que de l'opposition soient en exil, était déjà suspensif de cette initiative, qui de ce fait, se plaçait automatiquement en contradiction avec le prescrit de l'article 299.En effet, cet article disposait qu'« aucune procédure de  révision ne peut être retenue si elle porte atteinte à l'unité nationale, à la cohésion du peuple burundais (.), à la réconciliation, à la démocratie, etc.»

Nous l'avons déjà dit, le processus avait été officiellement lancé en 2013 pour se conclure en queue de poisson. A l'époque, la configuration des forces politiques à l'Assemblée Nationale ne permettait pas un hold up et le CNDD-FDD avait commisune erreur à la fois tactique et stratégique de s'inscrire dans la logique d'un processus négocié. Pour éviter tout risque d'échec, le récent changement de constitution a été conduit sous contrôle exclusif du CNDD-FDD, mais en plus dans la désapprobation générale de la communauté internationale (Iwacu 2018) et contestation   de l'opposition tant intérieure qu'extérieure .

Les méthodes qu’emprunta cette démarche la rendaient absolument illégitime pour au moins deux raisons principales. D'abord, le moment choisi par le pouvoir de Bujumbura pour lancer le processus de changement de cette constitution était lui même profondément indicatif de ses vraies motivations.L'annonce de ce projet de révision a été faite alors que se tenait à Arusha, la quatrième session de dialogue interburundais sous les auspices de l'ancien président tanzanien Benjamin W. Mkapa. Une session où on avait eu à déplorer  l'absence du Secrétaire Général du CNDD-FDD, le même qui avait été à l'inititiative de sa convocation, mais également le faible niveau de représentation de la délégation gouvernementale conduite par un simple assistant de ministre. Cette session, malgré tous ces ratés, avait néanmoins eu le mérite de réaffirmer le respectde l'AAPRB, en tant que socle de la paix, de la sécurité et de la cohabitation pacifique.Bien plus, dans ses différents rapports aux chefs d'Etats de la Communauté de l'Afrique de l'Est, le Président Mkapa n'avait jamais cessé d'attirer  l'attention du pouvoir de Bujumbura sur les risques que comportait toute révision constitutionnelle. Engagé à un  moment où l’opinion s’attendait plutôt à la conclusion du Dialogue interburundais, cette démarche traduisait  ni plus ni moins une  volonté de banalisation, voire de négation de ce processus. 

Ensuite,  le climat de torpeur qui a entouré le processus hypothéquait sa crédibilité. A l'approche de l'organisation du référendum constitutionnel, un éminent membre du CNDD-FDD, Melchiade Nzopfabarusheprofita d'un meeting organisé à cet effet  pour promettre la noyade dans les eaux du lac Tanganyika aux adversaires politiques qui oseraient faire campagne pour le non (Gakiza 2018). A sa réapparution quelques deux à trois mois après sa bavure, sa nomination comme membre du conseil d'administration d'un des plus grands hôpitaux du pays (République du Burundi 2017), apporta la preuve que son indélicatese calculée traduisait  un mot d'ordre du système politique au nom duquel il s'était exprimé.

C'est avec la signature de ce texte constitutionnel  que toutes les tares qui  caractèrisent ce processus éclatent au grand jour. Le préambule de cette Constitution commence par „Nous peuple burundais“ et se termine  par«Adoptons solennellement la présente Constitution qui est la loi fondamentale de la République du Burundi». La formule de clôture du préambule laisse perplexe: le peuple adopte ; est-ce synonyme de promulgue, quand on sait que l'article 299 préconisait qu'indépendamment de la formule de révision empruntée, la promulgation suppose toujours un vote parlementaire? 

C'est à ce seul prix qu'on peut parler de promulgation! Dans le cas d'espèce, l'option ayant été de contourner l'Assemblée Nationale et le Sénat, le statut légal de ce texte demeure ambigu. Que devient la légalité d'une constitution  qui n'a pas obéi à la procédure normale de promulgation? Et pourquoi cette option de contournement des instances constitutionnellement incotournables? Par ailleurs, le lecteur attentif aura remarqué que la page de couverture du numéro du Bulletin Officiel du Burundi dédié à cette Constitution ne reproduit pas fidèlement le modèle en vigueur jusque là. Bien plus, contrairement à toutes les autres lois antérieures et postérieures, la loi portant promulgation de cette Constitution ne porte aucun numéro. Elle n'a d'identifiant que la date de sa signature. Et ce n'est pas un hasard, puisque le numéro qu'elle aurait dû porter n'a pas été attribué!

II.3.De l'opportunité du changement 

Si l'on admet que la constitution du 18 mars 2005 était la formalisation juridique de l'Accord d'Arusha, on comprend d'emblée que sa révision, dans le contexte que l'on connaît, devait susciter des incompréhensions. D'abord, la crise électorale de 2015, qui n'est toujours pas résolue, est partie d'une  interprétation dualiste d'une disposition de cette constitution en rapport avec la question de la limitation du nombre de mandats  présidentiels. Ensuite, la mise en oeuvre de cet Accord dans certaines de ses dimensions les plus cruciales comme les mécanismes de justice transitionnelle et de  réconciliation nationale avait toujours été source de tensions. Enfin, certains des mécanismes préconisés par cet Accord, notamment de lutte contre le génocide et l'exclusion,  n'avaient pas encore été mis en place , même si dans la foulée , le pouvoir de Bujumbura s'est précipité de les créer à sa façon. Cet article ne reviendra pas sur ces aspects, bien qu'ils soient d'une importance capitale pour cet exercice. Nous les évoquons juste pour montrer que tous ces constats appelaient naturellement une évaluation préalable de la mise en application de l'Accord, avant de penser à une quelconque révision de la constitution qui en était issue. 

Pour rester collé sur l'actualité, l'article 288 de la nouvelle constitution promulguée le 7 juin 2018 stipule que les «institutions  en place restent en fonction jusqu'à l'installation effective de nouvelles institutions élues ». De ce fait, deux constitutions cohabitent aujourd'hui au Burundi, et cela durera jusqu'aux élections prévues en 2020. De façon singulière, «les membres actuels de la Cour Constitutionnelle restent en fonction jusqu'à l'installation de nouvelles institutions issues des élections de 2020».

A elles seules, ces deux dispositions, qui s'ajoutent aux constats qui les précèdent, soulèvent la question de la pertinence et de l'urgence de ce changement constitutionnel. Concrètement, quelle est la raison d'être d'une Constitution adoptée dans le désaccord le plus total alors qu'elle ne vient pas régir le dispositifi institutionnel, sachant que c'est dans l'essence même de toute constitution? Inversément , quelle serait la raison de préserver les institutions de 2005 malgré le profond changement de la constitution qui les régit?

Une des conséquences les plus évidentes de ce paradoxe est que la nouvelle dualité constitutionnelle permet au CNDD-FDD d'appliquer en même temps, et cela sur deux ans, deux constitutions concurrentes en fonction de ses intérêts. Cela relève tout simplement de la manipulation. C'est le lieu de faire remarquer ici à quel point le premier visa -«Vu la constitution du Burundi »- qui coiffe en principe tous les textes légaux et réglementaires est désormais vidée de sa substance en ce sens qu’avec deux constitutions concurrentes, on ne sait plus à laquelle on fait référence. Quelle est au fait cette constitution que l'on désigne, entre celle de 2005 qui a toujours cours et celle de 2018 à laquelle aucun texte n'a encore fait clairement référence? 

La décision, prise en octobre 2018 par le Conseil National de Sécurité (CNS),  d’imposer les équilibres ethniques au sein des ONGs, permet de mettre en lumière les équivoques créées par cette superposition de deux constitutions. La question que l’on peut se poser est très simple : lequel,  entre  le CNS prévu par la Constitution de 2005 et celui prévu par celle du 7 juin 2018, est auteur de la décision ? Nous écartons d’office l’hypothèse que ce soit le nouveau, qui n’était pas encore créé en octobre 2018 et qui ne l’est toujours pas encore. En effet, la nouvelle constitution est très laconique sur les conseils nationaux auxquels elle ne réserve qu’un article (art .275) qui à lui seul fait l’objet du titre XIII. Cet article ne fait que les énumérer, en prenant le soin d’ajouter qu’une loi organique détermine leurs missions, leur composition, leur organisation et leur fonctionnement. Or, en octobre 2018, aucun Conseil national n’avait encore été créé selon le nouvel esprit.

Il tombe donc sous les sens que la mesure a été prise par le CNS régi par la Constitution de 2005. Or l’article 277 de la constitution de 2005 qui traitait des missions de ce Conseil en faisait un organe consultatif chargé d’assister le Président de la République et le Gouvernement dans l’élaboration des stratégies de sécurité et de maintien de l’ordre en cas de crise. Dès lors qu’elle était prise par un Conseil  qui n’était et n’est toujours  constitutionnellement que consultatif,  cette décision pêchait donc par deux vices de fond: 

  1. Au niveau de son statut, en tant qu’organe consultatif, le CNS régi par la constitution de 2005 ne pouvait se transformer en organe délibérant  donnant des injonctions au gouvernement.
  2. En termes de missions et de compétences, s’il avait eu à se saisir, il aurait été mieux inspiré de s’occuper de la question des déséquilibres constitutionnellement prévus et qui ne sont plus respectés, notamment au sein des corps de défense et de sécurité où la cohésion est devenue délétère depuis 2015. D’autant plus que dans ses missions, telles que définies à l’article 277, il était spécialement chargé de suivre « attentivement l’état de l’unité et de la cohésion nationale au sein des corps de défense et de sécurité ».
     
  3. Les enjeux politiques majeurs de cette « révision ».

Une analyse sommaire du texte constitutionnel de 2018 et de l’environnement de son changement et de son implémentation laisse entrevoir trois enjeux majeurs poursuivis par le CNDD-FDD. Ces enjeux tournent tous autour du rejet global de l’AAPRB dont la nouvelle Constitution sape profondément les bases, à travers: i) le rejet du partage de pouvoir et donc  la remise en cause du principe de démocratie consociative; ii)le rejet du principe de séparation des pouvoirs et l’instauration d’un pouvoir absolu du Président de la République; iii)le rejet du principe des équilibres politico-ethniques; tout cela en vue d’un double objectif ultime d’instauration d’un ordre démocratique majoritaire, mais également du rejet définitif du principe de limitation du nombre de mandats présidentiels. 

III.1.Le rejet du partage de pouvoir par la remise en cause du principe de démocratie consociative

La remise en cause du principe d’une démocratie consociative est traduite par la suppression du poste de Ier Vice-Président de la République et la modification des quorums de prise de décision à l’Assemblée Nationale et au Sénat

  1. La suppression du poste de Ier Vice-Président de la République 

La constitution de 2005 avait confié le pouvoir exécutif au Président de la République, conjointement avec ses deux Vice-Présidents et les membres du gouvernement (art 92). Elle prévoyait que le Président  de la République en consultation avec les deux Vice-Présidents, nomme les membres du Gouvernement et mette fin à leurs fonctions (art. 108). Les deux Vice-présidents avaient des missions de coordination du domaine politique et administratif pour le premier et du domaine économique et social pour le deuxième (art. 122). Ils appartenaient « en outre à des groupes ethniques et des partis politiques différents » (art. 124). Enfin, leur nomination, tenait compte « du caractère prédominant de leur appartenance ethnique au sein de leur partis politiques respectifs ».

La formule de deux Vices- Présidents était déjà une entorse à l’esprit de l’Accord qui s’inscrit dans une logique de partage politico-ethnique, et pas seulement ethnique du pouvoir. Or, le dédoublement du poste de Vice-Président  diluait déjà suffisamment la participation du groupe minoritaire qui s’était de fait vu définitivement exclu avec la mise en place des institutions de 2015. Or, l’article 122 de la nouvelle constitution  supprime le poste de Ier Vice-Président qu’il remplace par le poste de Vice-Président, dont on ne sait d’où il viendra, l’unique exigence étant qu’il doive être un élu mais sans cahier de charge (art 123) , et d’appartenance ethnique et politique différente de celle du Président (art.124). 

La suppression du poste de Ier Vice-Président de la République est la meilleure manière d’exclure définitivement la minorité tutsi de l’Exécutif, étant donné qu’à l’état actuel des choses, et c’est aussi l’entendement du CNDD-FDD, le Président sera toujours un Hutu. Désormais le Tutsi qui entrera au gouvernement le sera non en tant que représentant de son groupe, mais uniquement par les relations qu’il entretient avec le Président de la République. Avec cette constitution, le CNDD-FDD vient d’institutionnaliser ce qui était dans les faits depuis 2015 : en nommant un Ier Vice-Président qui ne « représente rien ni personne », à côté d’un  ministre de la Défense à la fois inconnu du corps qu’il commande et de la formation politique qui aurait dû le proposer (Opposition intérieure 2016), le CNDD-FDD venait de mettre définitivement un terme à la représentation  politique de la minorité tutsi dont les deux personnalités étaient  censées incarner les intérêts.

De fait sur les six articles (122-127) qui parlent du Vice-Président, aucun ne parle de ses pouvoirs puisqu’il n’en aura plus aucun. Dans une logique de partage de pouvoir, la disparition des deux Vice-Présidents aurait conduit à un véritable Vice-Président qui aurait récupéré plus ou moins les attributions des anciens Vice -Présidents et aurait assisté réellement le Chef de l’Etat dans sa mission de coordination de l’action du Gouvernement, exactement comme ça avait été le cas juste au lendemain de la signature de l’AAPRB durant la période de transition (2000-2005).

Avec la constitution du 7 juin 2018,  le Vice-Président ne sera donc plus qu’un objet de décor politique et institutionnel. Les deux Vice-Présidents ayant disparu, le pouvoir exécutif réel n’appartient plus qu’au Président et au Ministre concerné, puisque même le Premier ministre n’aura de pouvoir et d’autorité que ceux que le Président voudra lui reconnaître.De fait l'article 133 clarifie le statut de figurant dédié au Vice-Président de la République, même devant les ministres. En effet, cet article dispose que le«Premier ministre anime et coordonne l'action du Gouvernement ». A ce titre, « il préside le conseil du Gouvernement, réunion préparatoire du Conseil des Ministres ».

Cette distinction, tout compte fait nouvelle, est en elle-même subtile et matérialise une vieille obsession traduite dans le document du club Nonoka précédemment évoqué. Ne pouvant avoir confiance dans ceux qu’il considère comme des infiltrés,  il avait envisagé deux stratégies : 

La première consistait à «adjoindre aux opposants membres du gouvernement des chefs de cabinet issus du système, chargés de les suivre de près et de se renseigner sur leur comportement, surtout lorsqu’ils sont en mission à l’étranger » (Nonoka Production 2011). 

La deuxième consistait à « instituer un conseil des ministres informel excluant les ministres de l’opposition pour des questions de fond intéressant le système». Voilà donc qu’au plus haut niveau, le Vice-Président viendra avaliser des décisions qui  auront été prises ailleurs. Il n’est plus l’ombre d’un doute  que le CNDD-FDD fonctionne avec plusieurs sphères de décision qui ont souvent court-circuité  les décisions  du Gouvernement, notamment le cercle des généraux, les conseillers occultes, principalement religieux, le parti, les groupes d’intérêts économiques, quelques consultants étrangers, etc. Le rapport de la Commission des Droits de l’Homme établi en 2017 sur le Burundi faisait remarquer à juste titre que les grandes décisions seraient prises en dehors du gouvernement dans le cadre d’un cercle restreint des généraux autour du Président de la République, dont les décisions sont relayées à travers une chaîne de commandement parallèle dont la configuration varie d’un corps ou d’une province à l’autre (Nations Unies 2017).

  1. La modification des quorums de prise de décision à l’Assemblée Nationale et au Sénat

Dans le souci d’assurer la participation politique et la protection des groupes minoritaires, la constitution de 2005 avait imaginé des mécanismes de participation des forces politiques au processus de décision politique basé sur une démocratie de consensus. C’est pour cela que l’article 175 stipulait que « l’Assemblée Nationale ne peut siéger valablement que si les 2/3 des députés sont présents. Les lois sont votées à la majorité des 2/3 des membres présents ou représentés». L’article 186 reprenait les mêmes dispositions pour ce qui était du Sénat. Il en était de même pour l’adoption des résolutions, des décisions et des recommandations jugées importantes. L’esprit de cette disposition était de rassurer les groupes minoritaires, qu’ils soient ethniques ou politiques. 

Pour ce qui est de  l’approbation  des membres de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI), l’article 90 prévoyait un vote de l’Assemblée Nationale et du Sénat à la majorité des 3/4. L'article 91 de la constitution du 7 juin 2018 ramène ces quorum à la majorité absolue pour l'approbation des membres de la CENI. Elle prévoit la même majorité pour l’adoption des lois ordinaires et la majorité des 3/5 pour les lois  organiques (art. 180 et 191). De façon générale , la nouvelle constitution  remplace  systématiquement  la majorité des 2/3 par celle des 3/5 et celle des 3/5 par la majorité absolue.

Ce rabattement des quorums s’explique par le fait qu’en 2012, le CNDD-FDD a eu des difficultés à avoir le quorum nécessaire à la reconduction du Président sortant de la CENI. Le CNDD-FDD a d’abord dû créer une aile de l’Uprona qui lui soit favorable avec le Congrès illégal du 16 septembre 2012 qui lui a permis d’avoir une partie des députés Uprona de son côté. De même s’il n’a pas pu changer la Constitution en 2014, c’est parce qu’il lui a manqué une voix qu’il ne pouvait obtenir que par la séduction et l’achat des consciences.  Il ne voudrait donc pas courir encore les mêmes risques pour les grandes réformes institutionnelles qu’il compte initier après 2020 et qui sont déjà contenues en filigrane dans la nouvelle constitution.

Le rabattement systématique des quorums de prise de décision a pour but de permettre aux seuls Députés et Sénateurs du CNDD-FDD de décider du destin des Burundais sans en référer à aucune autre force politique. Le pouvoir CNDD-FDD veut que désormais, sa seule volonté s'impose à l'ensemble du peuple burundais. Il cherche à casser définitivement la démocratie de consensus sur laquelle repose l'Accord d'Arusha et à imposer un monopartisme de fait. Ainsi, il aura réussi l’exclusion totale des minorités ethnique et politique car, si 49% de l’Assemblée nationale n’avait plus droit au chapitre, qu’en serait-il des minorités? C’est la raison pour laquelle-, au moins sur le plan de la forme-,  il laisse  intacts les équilibres ethniques, puisqu’avec les nouveaux quorum de prise de décision,  la majorité politique ou ethnique  imposera sa loi, sans devoir rien négocier avec le ou les autres groupes minoritaires. 

III.2.Le rejet du principe de séparation des pouvoirs 

L’absence de séparation des pouvoirs est inscrite dans le génotype du CNDD-FDD. A travers cette Constitution, le CNDD-FDD ne fait donc que traduire dans le droit ce qu’il avait toujours  consacré dans les faits. Que ce soit dans la gestion du budget ou le processus de prise de grandes décisions et /ou orientations (gratuité des soins pour les femmes en couche et les enfants de moins de cinq ans, le récent transfert de la capitale,  la révision de la constitution, l’imposition d’un nouveau plan décennal alors même que la vision 2025 était censée être en cours d’exécution, le retrait de la CPI, etc.), le dénominateur commun de toutes ces mesures est qu’elles  n’ont jamais été discutées au sein de l’instance de délibération accréditée, de même qu’elles ont rarement fait l’objet d’une consultation technique digne de ce nom. 

  1. La subordination des autres pouvoirs à l’Exécutif

Même si dans les faits, cela a été rarement le cas, sur le plan formel au moins, la Constitution du 18 mars 2005 reconnaissait l’indépendance de la justice et donnait à l’Assemblée Nationale, des pouvoirs de contrôle sur l’Exécutif. A contrario, la nouvelle constitution subordonne les pouvoirs judiciaire et législatif à l’Exécutif, lui-même laissé pour l’essentiel au seul Président de la République. En effet, si avec la Constitution de 2005 «le Président de la République (pouvait ) être déclaré déchu de ses fonctions pour faute grave, abus grave ou corruption, par une résolution prise par les 2/3 des membres de l’Assemblée Nationale et du Sénat réunis(art 116) », avec la nouvelle, l’Assemblée Nationale et le Sénat se voient retirer le pouvoir de déclarer la déchéance du Président de la République quelle que soit la gravité de sa faute et les abus qu’on pourrait lui reprocher. Les deux institutions ne gardent que le pouvoir de le « mettre en accusation». Le fait que dans cette nouvelle constitution, le contenu de l’ancien article 116 de 2005ait été complètement élagué implique que l’Assemblée Nationale et le Sénat ne peuvent plus incarner l’expression de la volonté populaire.

Toujours en matière législative, l’article 197 de la Constitution de 2005 obligeait le Président de la République à promulguer « les lois adoptées par le Parlement dans un délai de trente jours à compter du jour de leur transmission ». Dans le cas contraire, la même constitution l’obligeait à formuler une demande en seconde lecture ou à saisir « la Cour Constitutionnelle en inconstitutionnalité ». En revanche, l’article 202 de la constitution du 7juin 2018 transfère le pouvoir de légiférer au Président de la République. En effet, cet article prévoit  que « une loi adoptée par le parlement est réputée caduque lorsque le Président de la République ne la promulgue pas dans un délai de 30 jours calendrier ».  En outre, cette disposition n’oblige aucunement le Président de la République à justifier sa décision. Le Parlement devra pour adopter une loi, s’assurer au préalable qu’elle plait au numéro 1 du pays. C’est une récupération du Pouvoir Législatif par le Président de la République, comme à l'époque de la première république où le Président Michel Micombero était à la fois chef du pouvoir exécutif, législatif et judiciaire.

Il y a risque que l’Assemblée Nationale se transforme en une simple caisse de résonnance de l’exécutif, surtout que dans le cas d’espèce, aussi bien au  CNDD-FDD que dans d’autres formations politiques, les députés sont issus des listes bloquées établies parfois de façon autoritaire. De l’avis d’un ancien membre de son entourage, Nkurunziza se serait souvent plaint de ce qu’ « un Président de la République élu au suffrage universel direct » soit obligé de tenir compte d’une Assemblée Nationale composée de députés élus sur des listes bloquées.

Le Pouvoir Judiciaire n’est pas moins inféodé: en effet, en vertu de l’article 113 de la constitution du 18 mars 2005, le Président de la République exerçait le droit de grâce après « avis du Conseil Supérieur de la magistrature ». L’article 114 de la nouvelle constitution réserve ce droit au seul Président de la République sans consultation aucune. Le fait qu’il ne doive plus prendre l’avis du Conseil Supérieur de la Magistrature sur une question qui relève pourtant du droit, est une preuve supplémentaire de la supériorité de l’Exécutif sur le pouvoir judiciaire.

L’exclusion du Sénat des anciens Présidents de la République participe de la même logique. L’article 180 de la Constitution de 2005 stipulait  que le Sénat se compose de : i) deux délégués de chaque province élus par les membres des conseils communaux de la province ; ii) trois personnes issues de l’ethnie Twa ; ainsi que iii) les anciens chefs d’Etat.

Cette Constitution  avait en outre prévu que, à la cessation de leurs fonctions, les anciens chefs d’Etat deviennent automatiquement des Sénateurs à vie (article 185). Cela permettait à cette jeune institution de bénéficier de leur expérience, et pourquoi pas de mettre à contribution leur autorité morale face à des questions qui pourraient susciter la polémique ou mobiliser des passions. En excluant les anciens chefs d’Etat du Sénat, la nouvelle constitution cherche leur marginalisation politique. Ce comportement résulte du fait qu’il redouterait leur indépendance d’esprit pour un système qui cherche à réduire toutes les institutions à des caisses de résonnance.

  1. L’instauration d’un pouvoir absolu du président de la République 

L’article 129 (al.1) de la constitution de 2005 parlait de la composition (ethnique et selon le genre) du Gouvernement. Son alinéa 2 avait trait à la provenance politique des membres du gouvernement, qui était ouvert à toute formation politique ou tout indépendant ayant réuni plus d’un vingtième de votes. Le dernier alinéa comportait l’obligation pour le Président de la République, de consulter le parti politique de provenance d’un ministre limogé qu’il voulait remplacer. 

La nouvelle Constitution réduit à sa partie congrue la section relative  au gouvernement qui ne compte plus qu'un article (art 128 ). Cet article consacre un gouvernement à 60% hutu, 40% tutsi  avec 30% de femmes, mais ne dit rien de la provenance politique des ministres, et surtout des modalités de remplacement d'un ministre limogé, juste pour faire comprendre en interligne que les ministres ne sont plus que de simples obligés du Président. Le remplacement d’un ministre démis de ses fonctions comme la nomination des membres du gouvernement ne requiert plus la consultation des partis politiques d’origine. Avec une telle disposition, un parti politique largement représenté à l’Assemblée Nationale pourra se retrouver sans portefeuille ministériel. 

En revanche, la section relative au Premier ministre qui est une innovation de la nouvelle constitution compte 14 articles (art. 129 à 142). L’allongement de cette section résulte d’une volonté délibérée de mettre en évidence l’article 128, puisqu’en réalité, sept des articles (136 à 142) qui traitent pourtant du gouvernement  sont logés dans la section relative au premier ministre, placée au même niveau que celle relative  au gouvernement qui ne compte qu’un article.

L'article 93 confie le pouvoir exécutif au seul Président de la République, assisté par le Vice-Président. Cette assistance relève elle-même de l'utopie, car aucune disposition ne clarifie les termes de sa mise en oeuvre. Cette Constitution donne au Président de la République, le pouvoir de nommer à sa guise un Premier ministre (art. 130) sans tenir compte de l'importance de sa famille politique à l’Assemblée Nationale. Bien que ce Premier ministre soit présenté comme Chef du gouvernement (art.129), c’est le Président de la République qui en tant que Chef de l’État préside le Conseil des ministres (article 110). Ce Premier ministre, ne pourra présider le conseil des ministres qu’en l’absence du Président et du Vice-Président et sur autorisation présidentielle (art.125).

Les articles 131 et 132 de la Constitution de 2005 clarifiaient les compétences du Gouvernement. L’article 131 disposait que « Le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation dans le cadre des décisions prises par consensus en conseil des ministres ». L’article 132 quant à lui stipulait que « Le Gouvernement délibère obligatoirement sur la politique générale de l’Etat, les projets de traités et accords internationaux, les projets de lois, les projets de décrets présidentiels, d’arrêtés d’un vice-président et d’ordonnances des ministres ayant un caractère de réglementation générale ».

Le principal apport de la nouvelle constitution en la matière est d’avoir fait disparaître les deux articles qui renforçaient l’approche consensuelle dans le travail gouvernemental. La nouvelle philosophie politique telle que reflétée par l’article 136de cette nouvelle constitution, fait du gouvernement une véritable caisse de résonnance, du Président de la République, en ce sens que le gouvernement est désormais « chargé de la mise en œuvre de la politique de la nation telle que définie par le Président de la République ». Avec une telle disposition,  le Président de la République devient l'unique centre de gravité de tout le dispositif institutionnel. La victoire électorale d'un parti politique sera tout simplement celle du Président de la République que ce même parti aura présenté. Toutes les institutions de l'Etat lui sont subordonnées. Cet article rejette de façon assez explicite l'idée de tout gouvernement en tant qu'institution délibérant sur la vie d'une nation. 

En définissant seul la politique de la nation, le Président incarne désormais seul toute la souveraineté nationale et l'Assemblée nationale perd son pouvoir de représentation des intérêts et de la volonté populaire. En clair-, cette constitution, ou plutôt le futur président qu'elle va accoucher, rejette toute idée de partage de pouvoir, si minime soit-il, avec qui que ce soit ou avec quelque autre institution que ce soit. La suppression des postes des Vice-Présidents participe de cette logique de renforcement du pouvoir absolu du Président de la République. Curieusement, pour faire comme dans les autres démocraties, l’article 132 prévoit que «  la démission du Premier Ministre entraînera celle de l’ensemble du gouvernement » alors qu’il n’aura aucune autorité sur ses ministres et qu’il n’intervient aucunement dans leur désignation.

L’article 113 de la Constitution de 2005 donnait au Président de la République le droit de grâce qu’il exerçait  entre autres après consultation des deux vice-présidents de la République. L’article 114 de la nouvelle constitution réserve ce droit au seul Président de la République sans consultation aucune. Toute révision constitutionnelle devant être en principe guidée par un souci d’amélioration, comment expliquer qu’un Président qui avant devait consulter ses deux-Vice-Présidents pour l’exercice de ce droit, ne consulte plus le seul qui lui reste, alors que ce dernier est censé l’assister (art. 122) et que si on était réellement resté dans la logique de l’Accord d’Arusha, il serait censé incarner les intérêts d’un groupe politico-ethnique différent de celui du Président de la République ?

En vertu de l’article 111 de la Constitution de 2005, le Président de la République nommait  aux emplois supérieurs  civils et militaires. L’article 112 de la nouvelle constitution reprend le même alinéa amputé des qualificatifs “civils et militaires“.  Il est clair qu'à travers cette amputation, le CNDD-FDD cherche à élargir la gamme des emplois publics devant désormais entrer dans cette catégorie en y intégrant des postes techniques bien rémunérés, notamment dans les entreprises étatiques ou à participation publique comme les banques, et ce en violation de la loi portant distinction des focntions politiques et des focntions techniques (République du Burundi 2005).

III.3. La remise en cause du principe des équilibres et l’institutionnalisation de l’exclusion politico-ethnique

  1. La suppression des mécanismes constitutionnels de protection des minorités

Trois alinéas du préambule de la Constitution de 2005 renfermaient les principes propres à la protection et à la sécurisation des minorités. Il s’agissait de : a) l’inclusion des partis politiques minoritaires dans le système général de gouvernance ; b) la protection et l’inclusion des groupes minoritaires, notamment ethniques et religieux, ainsi que ; c) la restructuration du système de sécurité et de justice dans le but de garantir la sécurité de tous, y compris des minorités ethniques. Tous ces principes  ont été élagués de l’ensemble de la constitution du 7 juin 2018. 

Dans le contexte actuel, expurger ces éléments, non seulement  du préambule, mais également de l’ensemble de la nouvelle Constitution, c’est d’abord semer la peur. C’est aussi donner la preuve qu’on veut mettre fin à l’exigence - pourtant consacrée par l’Accord d’Arusha que cette constitution prétend mieux appliquer-, d’inclusion et de protection des groupes minoritaires, qu’ils soient politiques, ethniques, ou autres. Or, l’enjeu majeur de cet Accord était précisément de sécuriser les uns et les autres, la majorité ethnique pendant longtemps tenue en respect par la machine répressive, et de l’autre, la minorité ethnique vivant sous la hantise  du génocide depuis la révolution rwandaise de novembre 1959 et les pogroms ethniques qu’elle a subis à au moins quatre reprises. 

Dans le contexte burundais, la survie physique de ces minorités est nécessairement subordonnée à leur participation politique (McCulloch et Vandeginste 2019). A l’inverse, leur exclusion de la gouvernance générale va signer leur arrêt de mort politique. Si dans la foulée de la crise de 2015, le CNDD-FDD a réussi à les exclure des rouages de l’Etat, c’est que par la suite, il en fera ce qui correspondrait le mieux à sa vision politique. Pour qui connaît les conditions et les mobiles de création du CNDD-FDD et  a suivi sa trajectoire, particulièrement depuis 2015, cette peur n’est pas que psychologique.

Depuis 2005, le CNDD-FDD a toujours eu l’Uprona pour partenaire constitutionnel. Or, ce partenariat était doublement gênant pour le CNDD-FDD: aussi bien politiquement qu’ethniquement, l’Uprona était censé être porteur des intérêts du groupe que le CNDD-FDD est né pour combattre. En effet, durant toutes les années de guerre civile (1994-2003) qui ont précédé son entrée dans les institutions, le CNDD-FDD n'avait jamais eu d'autre discours ni d'autre objectif politique que l'anéantissement de la minorité tutsi, politiquement incarnée par l'Uprona. L'ordre ethno-politique qu'il était venu combattre  était à son entendement porté par le même groupe politico-ethnique càd l'Uprona et les Tutsi volontiers confondus.

Déjà en 2014, deux importantes personnalités politiques de ce parti s'étaient investies sans succès à obtenir la réhabilitation du parti Uprona , en tant que  partenaire institutionnel du CNDD-FDD. Il est symptomatique que pour réussir le hold up constitutionnel, le CNDD-FDD ait d'abord pris la précaution de confier la première vice-présidence de la République et le porte-feuille de la Défense, seuls remparts de la minorité tutsi depuis 2005, à des sans patrie politique, qui de ce fait deviennent ses obligés. 

Ccontrairement au FNL qui depuis 2008 traverse une période d’observation  et d’apprentissage à la fois politique et social du vivre ensemble, notamment avec l’exclusion inattendue qu’il vit depuis 2008 et sa courte expérience de coalition électorale avec l’Uprona de l’opposition, un des ratés du parcours politique du CNDD-FDD aura été le brusque passage de la rébellion à la tête de la République , quasiment sans transition. Cela entretient dans son esprit, le sentiment qu’il est à la tête d’un Etat conquis par les armes, et qu’il doit gérer sans en référer à aucun principe. Ce sentiment est parfaitement traduit par le concept de « caratuvunye ». Or en matière de victoire militaire, il n’y a pas de demi-mesure ; il faut absolument aller jusqu’ au bout et c’est manifestement le sentiment qui anime le CNDD-FDD.

  1. Au sein de l’ensemble de l’appareil étatique

Le protocole II de l'Accord d'Arusha avait recommandé l'adoption d'une loi séparant les postes politiques et les postes techniques. Cette loi a été adoptée mais vidée de toute substance en ce sens qu'elle ne définit nulle part le contenu des deux concepts clés. Bien plus, même vidée de toute substance, elle reste loin d'être appliquée, l'option du CNDD-FDD étant de tout politiser et tout ethniciser, jusqu' aux postes techniques les plus subalternes, principalement au détriment des partis d'opposition et particulièrement des Tutsi, cela au mépris des critères de compétence et de professionnalisme.

Les postes d’emplois soumis à compétition s’octroient sur base de clientélisme politique. Des Tutsi classés en ordre utile se voient contestés le droit de les occuper ou voient leurs salaires réduits pour qu'ils y perdent l'intérêt. Des bourses d'études ont été parfois annulées puisqu' il y avait une forte présence de Tutsi. Le résultat est qu’aujourd’hui, dans les postes de responsabilité de l’administration publique et parapublique,  depuis l’agronome ou le directeur communal de l’éducation jusqu’au Directeur Général, dans les différents conseils d’administration des entreprises publiques ou des sociétés mixtes, la proportion de Tutsi atteint péniblement 10% comme l'indiquent les tableaux ci-après. Et même là, tout indique qu'il faut être naturellement du CNDD-FDD ou d’un parti satellite.

 

Tableau n°1: Répartition politico-ethnique de quelques postes de

l'administration sectorielle en 2018

Province

Responsables sectoriels  provinciaux  

Directeurs communaux de l’éducation

 

Santé

Education

Agriculture

HCF

TCF

HPA

TPA

Bubanza

HCF

HCF

HCF

ND

ND

ND

ND

Cankuzo

HCF

HCF

HCF

4

   

1

Gitega

HCF

HCF

HCF

9

-

-

2

Karuzi

HCF

HCF

HCF

-

-

-

-

Kirundo

HCF

HCF

HCF

7

-

-

-

Muyinga

HCF

HCF

HCF

-

-

-

-

Ngozi

HCF

HCF

HCF

7

2

-

-

Source : Réalisé de nos propres soins sur base des données recueillies

Aujourd'hui, les 119 administrateurs communaux sont tous du CNDD-FDD; chacune des Communes compte minimalement trois zones et parfois plus. Cependant la quasi-totalité des 350 chefs de zone environ appartiennent au CNDD-FDD. Le reste des Burundais se sentent  quasiment étrangers dans leur propre pays. Même le FNL d'Agathon Rwasa qui a bien voulu entrer dans les institutions n'a en dehors de deux gouverneurs de province, aucune représentation dans l'administration territoriale et communale.

Tableau n°2 : Répartition politico-ethnique des chefs de missions diplomatiques en 2017

Capitales

Chef de mission

Capitales

Chef de mission

Ethnie

Parti

 

Ethnie

Parti

Abuja

Hutu

Cndd-Fdd

Londres

Tutsi

Cndd-Fdd 

Addis-Abbeba

Hutu

Cndd-Fdd

Lusaka

Hutu

Uprona satellite 

Berlin

Hutu

Cndd-Fdd

Nairobi

Hutu

Cndd-Fdd 

Brasilia

Hutu

Cndd-Fdd

New York

Hutu

Cndd-Fdd

Bruxelles

Hutu

Cndd-Fdd

New Delhi

Hutu

Cndd-Fdd

Le Caire

Hutu

Ndd-Fdd

Oslo

Hutu

Cndd-Fdd

Dar Es Salaam

Hutu

Cndd-Fdd

Ottawa

Tutsi

Uprona satellite

Dubai

Tutsi

Cndd-Fdd 

Paris

Tutsi

Cndd-Fdd

Genève

Tutsi

Uprona

Pékin

Hutu

Cndd-Fdd

Kampala

Hutu

Cndd-Fdd

Prétoria

Tutsi

Cndd-Fdd

Kigali

Hutu

Cndd-Fdd

Rome

Hutu

Cndd-Fdd

Kigoma

Hutu

Kaze-Fdd

Téhéran

Hutu

Cndd-Fdd

Kinshasa

Hutu

Cndd-Fdd 

Tripoli

Hutu

Cndd-Fdd

La Haye

Hutu

Cndd-Fdd 

Washington

Hutu

Cndd-Fdd

Source : Réalisé de nos propres soins sur base des données recueillies. 

Il ressort des deux tableaux, ainsi que du tableau en annexe, une hyper-monopolisation politique et ethnique du pouvoir, qui n’exclue aucun secteur, et qui explique en partie les gabegies et excès de toute nature. Même les services techniques  comme la santé, l'éducation, l'agriculture, etc., ont été nettoyés des éléments de l'opposition politique et de la minorité ethnique Tutsi. -Au niveau de la représentation diplomatique, on observe des proportions semblables, et cela au niveau de l'ensmeble de spersonnels. 

Il est de bon ton de servir à la consommation médiatique internationale qu’on n’a pas touché aux équilibres ethniques, entre autres parce qu’on prévoit qu’il y aura 40% de Tutsi au Gouvernement. Bien plus, la nouvelle constitution (art. dispose que « Pendant une durée à déterminer par le Sénat les corps de défense et de sécurité ne comprennent pas plus de 50% des membres appartenant à un groupe ethnique particulier, … ». Mais lorsque la même constitution donne un délai de cinq ans (article 289)  pour analyser la nécessité de « mettre fin ou proroger le système de quota ethniques » dans toutes les institutions, à compter de «la mise en place des institutions »  qu’elle organise, que doit-on comprendre? L’on se représente bien ce que seront les conclusions d’un Sénat mis en place dans le cadre de cette constitution, dès lors que la « révision » est elle-même initiée par un pouvoir décidé de mettre hors-jeu la minorité ethnique comme cela commence à se vivre depuis quelques années. Mieux, dans la foulée de la préparation du référendum constitutionnel de mai 2018, des cadres du CNDD-FDD ont entrepris des contacts auprès d’autres leaders des partis d’obédience hutu influents comme le Frodebu, aux fins de les gagner à la thèse de la marginalisation politique des Tutsi, que le CNDD-FDD vend comme la seule stratégie porteuse pour la majorité ethnique. Aujourd’hui, le discours interne au CNDD-FDD fait du Tutsi le bouc-émissaire de l’isolement diplomatique du pays et du tarissement de l’aide financière étrangère qui en résulte, du manque d’emplois pour les jeunes, etc. 

  1. La remise en cause des équilibres ethniques au sein des corps de défense et de sécurité

L’article 257 (al.2) de la Constitution de 2005 disposait que «Pendant une durée à déterminer par le Sénat les corps de défense et de sécurité ne comprennent pas plus de 50% des membres appartenant à un groupe ethnique particulier, compte tenu de la nécessité d’assurer l’équilibre ethnique et de prévenir les actes de génocides et les coups d’Etat ». Cette disposition a été maintenue dans la constitution du 7 juin 2018 où elle fait l’objet du 2ème al. de l’article 263, mais juste pour séduire et distraire l’opinion. Comment pourrait-on y croire lorsque la non reconnaissance des minorités de tout genre est réaffirmée déjà à partir du préambule, et que la nouvelle constitution se donne cinq ans (art 289) pour en finir avec le jeu des équilibres ethniques? Par ailleurs, si déjà sans changement de constitution, ces équilibres étaient mis à mal dans beaucoup de secteurs, peut-on naïvement espérer que ce soient les corps de défense et de sécurité qui y échappent?

Au Service National de Renseignement , ces équilibres n'ont jamais été respectés alors que c'est un service extremêment sensible. La minorité ethnique tutsi n'y est  même pas représentée à 5%. Bien plus, on n'y compte aucun membre de l'opposition politique. Enfin, ces équilibres ont été progressivement érodés d'abord à la Police, ensuite à l'armée. Dans ce dernier corps où le processus a pris du temps, le pouvoir a préféré recourir à un commandement parallèle et/ ou à une armée parallèle formée de miliciens et d'anciens combattants, utilisés spécialement pour les exécutions extra- judiciaires, voire dans les missions internationales (Birantamije2018; Wilén, Birantamije&Ambrosetti 2018).

Comme si cela ne suffisait pas, la nouvelle constitution vient de soustraire définitivement le Service National du Renseignement des corps de défense et de sécurité. Jusque là, le titre X de la constitution de 2005 qui sur 22 articles (art 240 à 261) traitait de ces corps , n'avait fait aucune distinction entre les trois corps de défense et de sécurité; aucun d'eux n'était régi par une disposition constitutionnelle spécifique. Le 1er alinéa de l’article 245 de cette constitution, indiquait  clairement que le Service National de Renseignement (SNR) faisait partie des corps de défense et de sécurité. L’article 243 quant à lui prévoyait des commissions parlementaires chargées de superviser le travail de ces corps, le SNR y compris. Il ne pouvait en être autrement, dès lors que ces dispositions sont reprises comme telles dans de l’Accord d’Arusha.

La nouvelle constitution vient de créer un antécédent dangereux aussi bien sur le plan institutionnel que sur le plan opérationnel. A travers l'article 251, elle fait du SNR un corps à part, de surcroît régi constitutionnellement par un seul article (art.268) qui dispose que « le service national des renseignements, est un corps conçu, organisé et formé pour chercher, centraliser et exploiter tout renseignement de nature à contribuer à la sécurité de l’Etat, de ses institutions et de ses relations internationales , ainsi qu’à la prospérité de son économie ». Cet article ouvre un grand boulevard au parti CNDD-FDD pour tout changement de l'actuelle loi régissant le SNR. Il pourra sans doute lui imprimer à sa guise un nouveau visage. De fait, contrairement aux deux autres corps, rien n’est dit sur les mécanismes de sa mise en place, ses missions, son organisation et son fonctionnement, qui feront l’objet d’une loi spécifique.

De la sorte, le SNR échappera définitivement aux règles qui régissent les autres corps en termes de respect des quotas ethniques, de neutralité politique, de professionnalisme, de contrôle parlementaire, etc. Or, ce service est le plus pointé du doigt dans les nombreuses et diverses violations des droits humains dont souffre actuellement le peuple burundais. Si on l’accuse déjà de nombreux crimes parmi ceux dont le rattachement institutionnel des auteurs est plus ou moins renseigné, et cela depuis bien avant la crise de 2015, qu’en sera-t-il demain lorsqu’aucune disposition constitutionnelle ne le régira.

  1. L’institutionnalisation de l’exclusion politique 

Cette institutionnalisation se matérialise à travers l’imposition de la nationalité burundaise d’origine pour l’accès aux plus hautes fonctions de l’Etat et le blocage  des indépendants. Larticle 97 de la constitution de 2005 n'exigeait du candidat à la présidence de la République que la nationalité burundaise de naissance et un âge minimal de 35 ans. La nouvelle constitution impose exclusivement la nationalité burundaise d’origine pour les candidats aux quatre plus hautes fonctions de l’Etat: Président de la République, les Présidents de l’Assemblée Nationale et du Sénat, ainsi que le Premier Ministre. Cela signifie que pour ces quatre postes, toute autre nationalité additionnelle devient source d’inéligibilité. Encore une fois, le Vice-Président, qui n’est plus qu’un figurant, n’est pas concerné. Il pourrait être d’origine Mushi, loin s’en faut !

Bien plus, pour réduire le nombre de prétendants parmi les jeunes que le système CNDD-FDD a lui-même dressés, cette constitution vient de porter l’âge d’éligibilité à la présidence de la République de 35 à 40 ans. A travers ces dispositions, le CNDD-FDD et son prochain candidat cherchent par tous les moyens à écarter d’une probable compétition politique des gens dont ils redoutent une certaine popularité. En même temps, ces dispositions leur permettent de barrer la route à des personnalités. Ces dispositions pénalisent enfin des personnalités proches du CNDD-FDD, que les hasards de la vie ont amené à avoir deux nationalités, surtout quand elles avaient fui les crises cycliques que le Burundi a connues, ainsi que leurs enfants. 

L’interdiction des candidats indépendants participe de la même logique d’exclusion de l’autre frange des acteurs politiques susceptibles de se mobiliser pour les élections. L’article 98 de la constitution de2005 considérait «comme indépendant, le candidat qui, au moment de la présentation des candidatures n’est présenté par aucun parti politique ». Cette brèche avait permis aux mal aimés du système qu’étaient l’Uprona et le FNL légitimes, de s’organiser pour aller aux élections de 2015 en indépendants, dans le cadre d’une coalition présentée sous le label d’« Amizero y’Uburundi ».

Avec la nouvelle constitution du 7 juin 2018, la multiplication des exigences pénalise  autant les leaders des partis politiques que les simples militants des partis politiques qui en seraient exclus ou qui pourraient décider d’en sortir. L’article 99 frappe de deux exigences un simple militant qui serait tenté de se faire  indépendant. D’abord il ne doit « se réclamer d’aucun parti politique depuis au moins une année »; en plus il devra «affirmer son indépendance par rapport aux clivages politiques habituels ». En plus de ces deux exigences un membre d’un organe dirigeant d’un parti politique devra pour se réclamer d’indépendant, «attendre un délai de deux ans depuis sa démission ou son éviction ». Depuis la promulgation de cette constitution, deux ans correspondent exactement jour pour jour, à l'échéance des élections de 2020. 

Cette disposition est précisément dirigée, non seulement  contre la Coalition “Amizero y'Abarundi“; qui dans ce cas ne pourra se présenter comme indépendant. En clair, le CNDD-FDD veut tout simplement interdire l’existence des indépendants après avoir détruit tous les partis politiques virtuellement concurrents, ne laissant subsister que des ailes qu’il a lui-même créées en leur sein. Il est symptomatique que le MSD qui a résisté à la « nyakurisation », soit aujourd’hui dans une situation d’interdiction de fait. En effet, en 2018, la campagne pour le non au référendum constitutionnel orchestrée par cette même coalition, avait permis de vaincre les peurs. Bien plus, les résultats réels du vote, que  le CNDD-FDD est le seul à connaître, auraient montré que depuis 2015, s’était opéré un véritable basculement de la côte de popularité au détriment de ce parti. Il fallait donc que cette disposition constitutionnelle serve à interdire à jamais les indépendants, en même temps que le CNDD-FDD devait tout faire pour que les deux groupes ne recouvrent jamais leurs partis respectifs ni n’en créent de nouveaux.

Outre qu’elle vise la disqualification politique des opposants déjà connus, cette disposition est contraire à la Déclaration Universelle des droits de l’Homme (DUDH) et aux différents instruments juridiques internationaux ratifiés par le Burundi, notamment le pacte international relatif aux droits civils et politiques. Si non comment expliquer que la sortie d’un parti ou d’un organe dirigeant d’un parti entraîne une déchéance politique sur un an ou deux , sachant qu’il est même permis de vivre et de conserver la plénitude de ces droits sans jamais appartenir à une formation politique. Bien plus, pour un citoyen libre, la décision d’entrer ou de sortir d’un parti politique peut être prise à tout moment? Comment démontrer dans les faits que quelqu’un a « affirmé son indépendance par rapport aux clivages politiques habituels » ?

Cette disposition cache enfin un contenu plus subtil: en effet, elle cherche à bloquer toute issue politique à ceux qui n’ont pas encore quitté le CNDD-FDD et qui pourraient être tentés de le faire à l’approche des prochaines élections. Le CNDD-FDD ne voudrait pas qu’ils gardent le droit de se faire élire comme indépendants; il ne voudrait pas non plus s’affronter avec un parti politique qu’ils pourraient fonder ou intégrer en prévision des prochaines échéances électorales. Le Président de la CENI  sortant, P. C Ndayicariye, principal inspirateur de ces dispositions, n’avait jamais cessé au lendemain de la mascarade électorale de 2015, d’attirer l’attention du CNDD-FDD sur la menace que représentait pour lui l’existence des indépendants. N’a-t-il pas à plusieurs reprises annoncé au cours de ses sorties médiatiques des années 2016-17, que les membres du CNDD-FDD qui seront évincés de ce parti ne pourront pas se faire élire en 2020?

Conclusion  

Le développement qui précède a suffisamment montré que la prétendue révision de la Constitution du 18 mars 2005 constitue une rupture radicale avec l'esprit de  l'Accord d'Arusha. Le fait que cette «révision»relève d'une démarche unilatérale laisse croire à un agenda caché où on lit deux objectifs ultimes: l’enterrement de l’Accord d’Arusha et le rejet du principe de limitation du nombre de mandats présidentiels. Ces deux objectifs sont intimement liés en ce sens qu'ils concourent à un même but : l'instauration d'un pouvoir absolu ! L'article 96 de la Constitution de 2005 prévoyait que le Président de la République soit élu pour un mandat de cinq ans renouvelable une fois. L’article 97de l’actuelle constitution stipule que le Président de la République est élu pour un mandat de 7 ans renouvelable avec seulement interdiction d’exercer plus de deux mandats consécutifs. Le principe de limitation du nombre de mandats présidentiels remonte à la constitution de mars 1992 (article 61). L’Accord d’Arusha n’avait fait que le réaffirmer. 

L’hypothèse à la base de cette limitation était que le pouvoir use, car les négociateurs d’Arusha avaient remarqué que même sous les régimes militaires, les tensions commençaient autour de la huitième année et le coup d’Etat avait inexorablement lieu à la 10ème ou 11èmeannée. Or, non seulement l’article 97 de la nouvelle Constitution porte le mandat à « sept ans renouvelable », mais en plus il omet d’ajouter « une fois » et ne dit rien sur l’inéligibilité attendue du Président en exercice qui, constitutionnellement parlant, pourrait, après 15 ans de pouvoir ininterrompu, prétendre immédiatement à deux autres mandats successifs de sept ans chacun. 

Cela signifie qu’après 29 ans de pouvoir, il pourrait toujours revenir après une courte pause de 7 ans. Mieux, durant les 14 ans qu’il pourrait encore avoir, rien ne l’empêcherait de modifier encore la constitution pour l’expurger du petit verrou que « Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs ». L’environnement continental et régional l’y incline par ailleurs. Certes, il semble avoir rassuré l’opinion davantage internationale que nationale, lorsqu’ à la signature de cette Constitution, il a solennellement annoncé qu’il ne briguerait pas un nouveau mandat en 2020. Mais tout esprit curieux continue à se poser la question de savoir pourquoi cela n’a pas été formellement consigné dans les dispositions transitoires et finales de cette nouvelle Constitution. Mais, le moment venu, il pourrait se trouver des inconditionnels pour réclamer son retour. Dans cette dernière éventualité, se ferait-il prier pour donner raison à un peuple auquel il a toujours prétendu tendre l’oreille, et auquel il ne cesse de rappeler qu’il doit jalousement veiller sur sa souveraineté chèrement acquise ? Au demeurant, à qui d’autre profiterait un changement constitutionnel aussi profond et aussi controversé ?

Cette démarche comporte des risques pour l’avenir de la paix et de la stabilité non seulement au Burundi, mais plus encore dans la sous-région. Si chaque peuple conserve le droit d’amender sa constitution, dans le cas du Burundi, la démarche constitue  un véritable camouflet  en ce sens que, dans l’urgence, elle visait plus à donner un coup d’arrêt au processus de dialogue inter-burundais, le CNDD-FDD craignant qu’un quelconque compromis ne vienne déranger ou remettre en cause son agenda politique. En rapport avec cette dimension, le CNDD-FDD a tiré avantage des complicités avérées ou de fait de la sous-région, que nous n’avons pas intégré dans la présente analyse.

La configuration politico-ethnique actuelle des corps de défense et de sécurité avait été imaginée pour prévenir les menaces de coups d'Etats et surtout de génocide. Si demain ces balises n'étaient plus, eu égard à l' ethnisation de la lecture politique comme de la gestion de la crise actuelle, comment pourrait-on rassurer autrement la minorité qui perd à la nouvelle donne? La rhétorique unitariste et la mobilisation  de la ressource clanique des vieux temps, moins estampillée de références ethniques, ont toujours leurs limites, surtout lorsqu'elles sont constamment contredites par les faits!

Le changement de la constitution éloigne les chances d'une solution négociée à la crise burundaise, de même qu'il met à l'épreuve l'efficacité des institutions  supranationales  sur lesquelles le peuple burundais avait beaucoup misé. Il y a risque qu'au-delà du Burundi, leur échec érode la confiance que des peuples avaient investie en elles . En effet, ce qu'elles n'auront pas pu réussir au Burundi, elles le réussiront encore plus difficilment ailleurs : certes on peut opposer à ce jugement que le Burundi est peut-être un pays sans enjeu économique ou géostratégique important, mais les conditions dans lesquelles l'AAPRB avait été négocié, donnaient une large marge d'action à la sous-région, à l'UA et aux Nations Unies. Or au vu de l'immobilisme affiché par la Communauté Est Africaine, en même temps qu'elle continue paradoxalement à s'afficher comme seule détentrice de la solution, le moment est venu de questionner l'efficacité du principe de subsidiairité. Avec lui, la communauté internationale semble pris  au piège des principes de fonctionnement dans lesquels elle avait cru trouver les moyens de son efficacité. 

 

Bibliographie 

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Iwacu 2018, « Référendum constitutionnelle : L’inquiétude de Gouteres dérange » , n°465 du 9/2/2018,.

McCulloch, Allisson et Vandeginste, Stef 2019, « Veto power and Power-sharing: insights from Burundi (2000-2018), Democratization, 2019, pp.1-19.

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Parti Uprona 2013, Propositions, observations et amendements du parti Uprona sur le projet de loi portant révision de la constitution  de la République du Burundi lors de l’atelier d’échange organisé par l’Assemblée Nationale du 19 au 20 décembre 2013, Inédit.

République du Burundi 2000. Accord d’Arusha pour la Paix et la Réconciliation au Burundi, Arusha, 28 Août 2000.

République du Burundi 2017, Décret n° 100/202 du 24 octobre 2017 portant nomination des membres du Conseil d’Administration de l’HPRC.

République du Burundi 2005, Loi n°1/09 du 17 mars 2005 portant Distinction des Fonctions Politiques  des Fonctions Techniques.

Rufyikiri, Gervais 2015. Lettre du IIe Vice-Président de la République, Gervais Rufyikiri à Nkurunziza, Bruxelles, 25 juin 2015.

Service National de Renseignement: Note de renseignement. L’éventuelle candidature du Président Nkurunziza au troisième mandat est-elle constitutionnelle ? Positions des différents partenaires et orientations du Service National de Renseignement (SNR), Bujumbura, 13 février 2015. 

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Vandeginste, Stef 2008, «Burundi. Entre le modèle consociatif et sa mise en œuvre », in F. Reyntjens et S. Marysse (Eds), L’Afrique des Grands Lacs. Annuaire 2007-2008, Paris, L’Harmattan, 2008, pp.55-75.

Wilén, Nina, Birantamije, Gérard et Ambrosetti, David, 2018, «The Burundian army’s trajectory to professionalization and depoliticization, and back again”, Journal of Eastern African Studies, Vol. 12/1, 2018, pp.120-135.

 

Annexe

Répartition politico-ethnique des responsables d'entreprises publiques 

ou privées  à participation publique 

Entreprise

Direction générale

 

Ethnie

Parti

Banque BBCI

Hutu

CNDD-FDD

BANCOBU

Hutu

Frodebu

Banque de crédit de Bujumbura 

Hutu

CNDD-FDD

Banque centrale/ BRB

2 Hutu

CNDD-FDD

1Tutsi

CNDD-FDD

Banque Nationale de développement Economique  (BNDE

Tutsi

CNDD-FDD

Fonds de Promotion de l’Habitat Urbain (FPHU

Tutsi

CNDD-FDD

Agence de régulation des Télécommunications 

Hutu

CNDD-FDD

Société burundaise de gestion aéroportuaire 

Hutu

CNDD-FDD

Agence de régulation des Assurances 

Tutsi

Uprona satellite

Comité de  gérance  de la caisse cotonnière

Hutu

Frodebu

Société de Développement de la Région Imbo

Hutu

CNDD-FDD

ARFIC

Hutu

CNDD-FDD

Loterie Nationale du Burundi

Hutu

CNDD-FDD

Office du Thé du Burundi

Hutu

FNL-satellite

M.FP

Hutu

Uprona satellite 

ENA

Tutsi

CNDD-FDD

ROU

Hutu

CNDD-FDD

RTNB

Hutu

CNDD-FDD

IGE

Hutu

CNDD-FDD

Office Burundais des Recettes 

Hutu

CNDD-FDD

CAMEBU

Hutu

CNDD-FDD

Société sucrière du Moso

Hutu

CNDD-FDD

REGIDESO (distribution d’eau et d’électricité) 

Hutu

CNDD-FDD

Université du Burundi 

Hutu

CNDD-FDD

Ecole Normale Supérieure

Hutu

CNDD-FDD

CNCA 

Hutu

CNDD-FDD

Institut National de Sécurité Sociale 

Hutu

CNDD-FDD

ONPR

Hutu

CNDD-FDD

Fonds de Logement des Enseignants 

Hutu

CNDD-FDD

Société d’Assurance du Burundi (SOCABU)

Hutu

CNDD-FDD

Source: Réalisé de nos propres soins sur base des données recueillies 

 

 

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